Il nous déstabilise
Parler c'est faire du mal. À lui, d'abord. Notre parole peut le déstabiliser, le dégrader, le marquer à vie. Ensuite, à nous deux, ses parents impuissants. Et finalement à nous trois, une famille aujourd'hui pestiférée, quoi.
Cinquante policiers et deux hélicoptères ont été envoyés dans la quartier. Des rues bloquées et des habitants confits dans leurs maisons.
Rien dans l'église où il y aurait eu la prise d'otages.
Une bêtise.
Il s'est enfui. Quatre jours après, il était arrêté. On l'a trouvé seul, caché dans une péniche non chauffée amarrée près de Chatou.
Il n'a pas trahi les autres ; des petits décérébrés comme lui.
Il aurait affirmé, qu'il aurait été le seul lanceur la fausse alarme. Les journaux ont repris cette déclaration.
La police savait pourtant qu'il y a eu des complices. Mais lui, il tint bon. Il se tut comme une carpe. Comme un sourd. Comme un héros.
Il se dit sûr de lui, plus fort que le monde qui l'avait attrapé et qui allait le condamner.
La posture lui convenait. Elle lui convient toujours. Il est sevré. Il s'est sevré lui-même. Il n'est plus vraiment notre enfant. Il n'est plus un enfant. Il est un héros. Ses camarades de collège, qui vont restés dehors, parleront de lui comme de quelqu'un sorti de sa coquille, sorti du commun. Et, c'est vrai, maintenant il est hors du commun. Il n'a pas de pair. Il n'est pareil à personne.
À quatorze ans, il est enquêté pour terrorisme. Un terrorisme idiot. Factice. Y a pas des morts. Pas des blessés. Mais une vie brisée. La sienne. Quoi qu'il en fasse. Quoi que nous en faisions.
Il se dit, il se prend un héros. Horriblement inutile. D'une certaine manière, il en est un. S'il se trouve.
Il nous déstabilise.
Blog : www.alexandre-papilian.com/