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La marionnette
La ville est déserte. Aucune voiture. Rarement, très rarement, si rarement que ça devient un événement, un bus. Il y a des feux - mais personne dans la rue. La colonne officielle roule sans aucune difficulté dans ce désert. Ils rencontrent, pourtant, un détachement de pionniers qui courent. - Leurs accompagnateurs et Iliescu parlent avec l’aide de deux traducteurs, des Coréens, les deux, un homme et une femme, qui ont été scolarisés en Roumanie, pendant la guerre de Corée...
L’homme
Comme mes petits camarades : Kim Kim Woo, Am De Yong, et un troisième, dont j’ai oublié le nom.
L’épouvantail
[après une pause] ...Nous arrivons devant une grille à l’ouverture automatique. La grande allée nous fait pénétrer dans un parc très soigné; extrêmement beau. Plein d’arbres étrangers, jamais vus, avec des feuilles et des fleurs peintes en des couleurs très délicates ou, parfois, très flamboyantes, frappantes. - Le ciel est clair. Il fait chaud. - Kim Il Sung met à notre disposition l’une de ses résidences présidentielles.
L’homme
Elle est grandiose.
L’épouvantail
Nous montons, tous, sans exception, démocratiquement, dans l’appartement de Zoé. Le bar - généreusement rempli. Nous ouvrons une bouteille de whisky.
[Les lumières s’éteignent; tout plonge dans le noir; l’homme seul reste isolé par un spot de lumière.]
L’homme
Tout peut être fatal ! Il n’y a pas de démonstration valable pour le contraire. Notre tête n’accepte que la fatalité comme valeur sûre ! Ni la nécessité, ni le divin ! Ou bien, si. Dans la mesure où ils sont fatals, eux aussi. La nécessite. Le divin. - Fatals ! - Ça ne demande pas d’explication, ça. La fatalité. - [pause] Être ou ne pas être poursuivi par le K.G.B., par la Tchéka, par le N.K.V.D., par le G.P.U. [prononcé: « guépéou »], par la Securitate.
L’épouvantail
[isolé par un autre spot de lumière] Tiens. Ca me rappelle quelque chose. [rire] Etre ou ne pas être! [au public] Certainement! Oui! Mais, au delà de cela! Le nom d’Aragon, Louis Aragon vous dit quelque chose?... Oui?... Non?... Ecoutez[1] :
Je chante le Guépéou qui se forme
en France à l’heure qu’il est
Je chante le Guépéou nécessaire de France
Je chante les Guépéou de nulle part et partout
Je demande un Guépéou pour préparer la fin d’un monde
Demandez un Guépéou pour préparer la fin d’un monde,
pour défendre ceux qui sont trahis
pour défendre ceux qui sont toujours trahis
Demandez un Guépéou
Il vous faut un Guépéou
La marionnette
[voix, dans le noir] Vive le Guépéou figure dialectique de l’héroïsme
L’épouvantail
Vive le Guépéou véritable image de la grandeur matérialiste
Vive le Guépéou contre le pape et les poux
Vive le Guépéou contre la résignation des banques
Vive le Guépéou contre les manœuvres de l’Est
Vive le Guépéou contre la famille
Vive le Guépéou contre les lois scélérates
La marionnette
[voix, dans le noir]
Vive le Guépéou contre tous les ennemis du Prolétariat
VIVE LE GUÉPÉOU
[Lumières pour tout le monde]
L’homme
Puis-je reprendre? [approbation silencieuse de deux autres] O.K.. Donc. Être ou ne pas être suivi par le G.P.U.. Et tout ça..., et tout... Vivre ou pas vivre en des Fatalands. Même. Donc. Ou même et donc ! - Être ou ne pas être à côté de la fille de Ceausescu.
L’épouvantail
[après une pause] ...Vous vous trouvez sur l’immense terrasse de l’appartement de Zoé. Les autres se sont retirés. Il est deux heures du matin. Le ciel est clair et transparent. Les ombres du parc exhalent une humidité fraîche. Vous vous trouvez dans la maison, dans le parc - sur la propriété ! - de Kim Il Sung ! Que, diable, cherchez-vous ici ? Enfin, là, là-bas ! Que, diable, y faites-vous ? Zoé s’appuie contre toi. Vous avez pas mal bu. Elle t’incite à la prendre par ses épaules. Le parc sombre, ténébreux et frais vous envoie ses effluves purificateurs et frissonnants. Tu retournes dans le salon. Elle te suit. Tu verses du whisky dans les verres. Tu lui pose la question: « Tu sais que je suis marié ? » Dans ses yeux mordorés - de la surprise. « Non. Je ne le savais pas. » Ensuite, en te dévisageant d’un regard difficile à adjectiver, on dirait, quand même, profond, sans fond, fou, de toute façon très tendu, elle te dit: « Et pourtant, tu vas coucher avec moi. »
Le porteur de pancartes
[traverse la scène, avec deux pancartes déjà vues : PIZDA et PERDU]
[Noir soudain. Brusquement, la boucle sonore - à une forte intensité. Les lumières balayent les photos et les objets accrochés aux murs de la scène et de la sale. Apocalypse... - Le vacarme s’arrête soudainement, en pleine lumière.]