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  • : Alexandre Papilian
  • : Ne pas être seul dans la proximité de la création. - Partager ce qu'on peut partager pendant la lutte avec les ombres - pendant la danse avec. Personnalité(s) forte(s) et inconfondable(s), se faire intégrés dans des communautés riches en névrosées, bien intégrées dans le monde actuel.
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  • Alexandre Papilian
  • Ecrivain et journaliste franco-roumain. Le sarcasme dépasse de loin la tendresse qui,elle, reste un voeu créateur de nostalgie. Volilà !
  • Ecrivain et journaliste franco-roumain. Le sarcasme dépasse de loin la tendresse qui,elle, reste un voeu créateur de nostalgie. Volilà !

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20 novembre 2017 1 20 /11 /novembre /2017 08:51

Une histoire trans-raciale

 

 

Tu es noir. Pas très-très, mais assez pour qu'on puisse te dire : t’es noir !

- Ta femme aussi.

Vous êtes sortis cet après-midi de dimanche limousin pour prendre de l’air au bord de la Vienne. Limoges brille dans la lumière de septembre. L’eau, marron mais transparente, laisse sortir des bouts de bois ou des pierres de ses ondes tranquilles. Les quelques canards glissent sur l'eau et cancanent ou se taisent comme d'habitude : stupidement. Tu tiens ton rejeton dans tes bras. Il a quoi, six mois ? Huit ? Neuf ?

- Ta femme commence à prendre des rondeurs.

C’est l’accouchement, certainement. Mais aussi autre chose. Elle est remplie, aujourd’hui. Sans être… pleine, comme pendant sa grossesse. Elle est passée dans une autre phase de sa vie (ou de son existence ?).

Elle s’épanouit maintenant dans sa chair. Sa viande sans graisse est toujours à mordre, à croquer.

- J’aime ça – beaucoup.

Elle se penche maintenant pour te prendre en photo, avec votre lardon dans tes bras.

Quant à moi, j’arrive avec le soleil sur mon épaule gauche.

- En Dieu que je suis, je me laisse impressionner par la scène où vous faites une Sagrada Familia noire assez surprenante !

Est-ce qu'elle est visible dans mon regard, cette étrangeté ? Est-ce qu’elle est inscrite dans nos gènes ?

Toi, souple et effilé, en tenant ton gosse dans tes bras, tu te laisses photographier par ta femme en train de devenir grosse, balourde, hystérique.

Nos regards se croisent. Tu n’en crois pas tes yeux. Alors, t’es sur le point de te montrer agressif, comme toujours lorsque ton regard croise le regard d’un mâle ; surtout lorsqu'il est un Blanc. Ensuite, quelque chose dans mon expression te parle. Tu t’adoucis. Tu esquisses même un sourire à mon égard. Il y a de la complicité dans l’air : ton gosse, qui bouge ses membres encore à la manière d'un insecte ; ta femme, ronde et appétissante et à l’avenir râleuse et transpirée, mais baisable encore ; toi-même, encore souple et élancé, voué à l’aigreur de la masculinité mûre et trompée par la sensation mollasse de la féminité maternisée et…

Tu me souris. La complicité de ce sourire me fait un drôle d'effet. Du bien. Drôlement.

Ensuite, tu te ressaisis. Tu n’en crois pas tes yeux. Tu deviens ce que tu seras :

- Un mec anonyme qui a touché tangentiellement la lumière de mon esprit.

Pour te perdre météoriquement dans la froideur de l’anonymat qui t’a amené dans ce monde pour te confirmer une fois de plus tes talents d’anonyme…

- Je t’aime, je te hais !

Je suis en vie.

Et toi ? Et vous ?

 

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17 novembre 2017 5 17 /11 /novembre /2017 23:33

La femme du bossu

 

 

J'ai commis un double crime. C'est fait. Et ce n'est pas à refaire.

J'ai couché avec la femme du bossu. C'était que de la baise. Même si autant elle que moi, nous essayions de donner au sexe une certaine valeur de fin du monde. Une certaine tristesse et une certaine beauté, une certaine triste beauté.

Elle, la belle femme se faisant « soutenir » matériellement (elle ne travaillait pas), pénétrer physiquement (douce pute à long terme), posséder psychologiquement par le bossu (un type très bien par ailleurs – hormis sa malformation). Moi, le mec normal. Genre bouc, aux yeux un peu jaunes et bridés, sorciers. Nous jouions avec le feu. Dire que c'était plutôt le pêché qui nous jetait au même lit. Sinon, l'acte proprement dit, la copulation, n'était que trop ressemblant à tous les autres que j'aie connus.

Il nous a surpris sur le fait.

On ne croit pas à l’inévitable jusqu'au moment où il se produit.

Il est rentré plus tôt que prévu de sa mission qui devait durer dix jours. Il est rentré, comme chez lui. Il était d'ailleurs chez lui. C'est nous qui n'étions pas chez nous. Sa femme et moi, dans notre très petite tenue.

Il pâlit effroyablement. La vie le tuait. La vie, sa femme, moi. Parce que bossu. Sa grande souffrance l’enlaidissait encore plus. Il était plus que répugnant.

(La laideur devrait tuer son porteur. Pour abréger les souffrances de tout le monde.)

Normalement, il fallait qu'il meure. Mais non. Il s'accrochait. Il résistait. Enfin. Quelque chose palpitait toujours en lui. J'étais pas bien.

Elle, de son côté, le regardait avec une expression de grande douleur. Elle lui faisait du mal. Il n'était qu'un bossu, un estropié, un monstre quasimodesque qui ne pouvait pas demander quoi que ce soit à ce monde. Ce n'était pas sa faute, certes. Mais elle, elle n'était pas une estropiée, comme lui. Elle avait accepté, certes, de partager avec lui ses deux bosses (il en avait deux, le malheureux, une qui lui déformait la poitrine, l'autre le dos). Mais elle avait pourtant le droit, au moins de temps en temps, de toucher à un homme normal, à un homme qui pouvait lui rendre sa propre normalité, qui pouvait la rendre normale – elle même.

- Elle même, elle existait – elle-même.

Blanc comme un spectre, il ouvre la porte d'entrée et me dit :

- Tu peux te la prendre.

J'enfile mon pantalon et mon tee-shirt.

Sur le seuil de la porte, je m'entends dire :

- Non, je te la rends, garde-la.

Elle emprunte la grimace de la folie pré-létale.

Elle dit :

- Je vous annonce à touts les deux que vous serez papas.

Elle n'est qu'une salope. Une pute à longue haleine. Une mégère qui va avoir un enfant. Une femme. Une mère. (Alors que nous, nous deux autres, quoi qu'on en fasse, nous ne sommes que deux bouffons.)

Je ne veux pas être père dans ces conditions. Dans aucune condition, d'ailleurs.

 

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16 novembre 2017 4 16 /11 /novembre /2017 08:30

Confession

 

 

Je serai d'être très court, mon père.

Notre mère nous divinisait, mon frère et moi. Quand elle est partie, elle nous a béni tous les deux, ensemble. Elle nous a dévisagé avec un regard inoubliable. Elle nous aimait au delà et au dessus de tout ce qui existe ou qui pourrait exister.

Elle est partie en paix : elle nous a aimé jusqu'au dernier souffle.

Elle ne savait ce j'ai fait à mon frère. Lui non plus, il ne le sait pas.

Il est mon aîné. Il a été le premier à se frayer une chemin dans la vie. Il m'a toujours écrasé avec sa supériorité en âge, force, débrouillardise, peut-être même en intelligence.

Alors, quand il s'est marié, j'ai pris ma revanche. J'ai couché avec sa femme. Le premier enfant qu'ils ont eu (aujourd'hui ils en ont cinq) c'est tête craché moi.

Il arrive souvent que l'enfant ressemble à son oncle, n'est-ce pas ?

Mais nous savons, ma belle sœur et moi, la vérité. Nous avons décidé de ne jamais parler de ça. Jamais.

Aujourd'hui, ce n'est plus jamais.

Ce qui me travaille, mon père, c'est l’au-delà. Je ne sais pas si ça existe, un au-delà. Mais je commence à croire que, oui, l'au-delà est inévitable. Je ne crois pas que ma mère serait disparue comme ça, totalement. Je crois même qu'une fois arrivée là-bas, ou la-haut... enfin... elle ait connu la vérité. Elle a appris ce que j'ai fait à mon frère...

Alors, si maman existe encore (peut-être éternellement ; et je ne vois pas comme il pourrait être autrement), je vais la rencontrer d'ici peu. Très peu. Ou très tôt. Enfin !

Je ne sais pas comment me jugera-t-elle.

Vous comprenez, mon père ? Le Bon Dieu, il m'emporte peu. Il peut me juger, comme il veut. Il est Dieu. Il en a le droit.

Mais maman, pour moi, ça compte infiniment plus ! Son jugement... si elle me repoussait... si elle me regardai comme elle savait le faire... comme elle seule pouvait le faire... si elle me refusait le pardon... si elle m'abandonnait, avec ce que j'ai fait... je ne sais pas ce que je vais faire... comment je vais faire... avec ce que j'ai fait. Je ne sais pas.

 

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14 novembre 2017 2 14 /11 /novembre /2017 09:20

Prêtre et psy

 

 

Autour de moi, à table, papa, maman et le frangin. Sur la table, les restes du dîner et les verres d'armagnac. Un Grand Bas-Armagnac. Du Lacquy, plus précisément. Nous fumons, papa (un joint) et moi (un cigare). Maman picore de temps en temps des groseilles dans la coupe. Le frérot ne fait rien. Il est prêtre. (Il m'agace. Il se dit beaucoup plus appelé à écouter les autres. Beaucoup plus que les psys, tel que ceux de ma race. Il se tait lorsque je lui parle. Il ne dévoile rien de ses « cas » à lui.)

Je m'entends raconter.

C'était une famille de frappés. C'est clair.

Le père était un crypto-pédophile. Il ne savait pas s'assumer. Il militait pour une sorte de révisionnisme pédo. L'homosexualité était considérée, il n'y a pas si longtemps, comme une maladie très pénalisante ; sauvagement pénalisable. Aujourd'hui on célèbre devant les caméras de télé les premiers mariages homos. Pour éduquer les masses, bien sûr. Les masses sont toujours en manque d'éducation. Non pas conservatrices, mais rétrogrades. C'est bien que de les éduquer. Alors, pourquoi ne pas aller plus loin et reconnaître qu'entre un adulte et un enfant puisse se dérouler une belle histoire d'amour ? Pourquoi pénaliser l'acte sexuel – incestueux ou pas – entre deux êtres de cette race, lorsque les deux sont consentants ? Il ne faut pas oublier que le jeune, au début de sa sexualité, peut être très séducteur et surtout destructeur. Donc, mieux vaut lui laisser la possibilité d'expression et d'action – tant que cela ne fait de mal à personne.

La mère disait haïr Dieu. Elle haïssait les cathos. Les juifs aussi. Pour ne pas parler des musulmans. Ou les patrons. Mais surtout les actionnaires. Et tout naturellement, les pédés.

Belle ambiance, donc.

Leurs enfants, des jeunes adultes au nombre de trois, deux jeunes filles et un jeune homme, étaient frappés, eux aussi.

Le garçon, ne jurait que sur les réseaux de socialisation et sur l'Intelligence Artifficielle. Selon lui, ils étaient les premiers responsables du renforcement de la démagogie et de l’incompétence dans l'espace public. La sélection des gens qui arrivent au pouvoir changerait aujourd'hui autant de critères que de contenu. L’humanité, profondément et hautement démagogisée et incompetenticisée, serait plus que jamais à la dérive.

Une des filles s’émerveillait des merveilles de ce monde. En écoutant San Fillipo Neri de Scarlatti (Alessandro), disait-elle, on peut se poser la question suivante : « si une chose terrestre peut être aussi belle, qu'est-ce que ce sera quand nous toucherons aux choses divines ? »

L'autre sœur, la cadette, dispensait d'habitude des questions et des observations surprenantes par leur bon sens. « Pourquoi les empreintes digitales sont-elles personnelles ? Y a-t-il un lien entre la personne, avec sa personnalité, et ses empreintes ? » Ou : « Il est impossible qu'Ivan, Aliocha, Mitia et Smerdiakov soient les enfants de Fiodor Pavlovitch Karamazov, le vieux scélérat. Ils sont trop différents, trop) singuliers et trop exemplaires à la fois pour qu'ils puissent avoir un tronc commun ». Cette jeune fille m'a mis dernièrement dans l'embarras. On lui avait fait savoir qu'elle avait un cancer du pancréas en phase terminale. Deux mois de vie au grand maximum. Elle se demandait si elle devait transmettre à son fils et au père de celui-ci ses doutes à elle : elle ne savait pas de qui était l'enfant... Elle ne se sentait pas elle-même.

- Je lui ai conseillé de voir un prêtre.

En disant ceci, je regarde mon frère.

- Tu veux me l'envoyer ?

Il n'a pas l'air trop content.

- C'est trop tard.

Ils sont morts tous les cinq. Leur voiture est tombée du haut d'une falaise de vingt mètres.

Je mets fin à l'histoire.

(...)

Je n'ouvre pas la comparaison mainte fois faite et plus ou moins pertinente entre le travail d'un psy (le mien) et celui d'un prêtre (le sien), entre l'utilité sociale de l'un (la mienne) et celle de l'autre (la sienne) ou celle des parents (l'un qui fume, l'autre qui « se groseille » ; les deux avec leur Lacquy et avec leurs fils, mon frangin et moi, l'un psy, l'autre prêtre).

Je m'en abstiens.

Cet armagnac, je le trouve super-bon.

Je le dis.

Ça fait plaisir autour.

 

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10 novembre 2017 5 10 /11 /novembre /2017 14:08

La charmante banalité d'une Lolita

 

 

La copine de ma fille veut me séduire. La nouvelle de Nabokov se standardise dans ce monde qui nous appartient autant que nous lui appartenons, qui nous contient (tous : elle, la gamine séductrice, moi, le gaga bandant, toi, le voyeur) autant que nous le contenons. Je n'ai rien de nouveau à ajouter à ces circonstances stimulantes, à ces circonstances irritantes. À ce syndrome.

Elle m'excite, la salopine. Des regards filtrés ou insolents et provocateurs. Des hanches couvertes de tissus moulants, en mouvement ou tranquilles, sages. Un doigt sucé. Une mèche passée par derrière l'oreille. Un tatouage au début de la raie entre-fessière. Un autre, sur la poitrine. Sous la clavicule. Au dessus du sein gauche.

Un rire stupide mais tellement joyeux ! Tellement inexplicable ! Tellement fraîche ! Une aura lumineuse. Le pressentiment de la chair rouge, chaude et brûlante, cachée dans le noir palpitant et absorbant. Le chant muet de la séduction.

Alors ? Quoi faire, alors ? Qu'est-ce que je dois faire ? Qu'est-ce que je vais faire ? Me laisser aller ? Alors ?

Je suis sous le charme. Quoi que je dise, quoi que je fasse. Le charme anime la vie – la mienne – d'une manière sans égal. C'est une promesse subtile, parfois presque insaisissable de bonheur.

Cela, même si la fin de l'histoire serait la même que celle de la nouvelle de Nabokov. Même si on tombait (se réveillait) dans du trivial, dans du vulgaire, dans du terrestre, dans du rien triste.

Mais ce sera pour plus tard, tout ça. Pour une autre fois.

Aujourd'hui je me sens tenté d'examiner le contraire de l'histoire nabokovienne. Ce n'est pas trop intelligent, je vous l'accorde. Quelle pourrait être l'issue contraire ? Je ne la vois pas. Franchement pas. La mort mise à part. La mienne (certaine et plus proche que la sienne). La sienne (certaine, elle aussi, mais dans le lointain). La nôtre...

Eh, c'est idiot !

On ne meurt pas ensemble, de toute façon. Chacun avec sa mort. Chacun avec sa trivialité. C'est trivial la mort, vous ne trouvez pas ? Ça manque de sens. Ça manque de perspective. Ça manque d'éternité. La mort n'est pas éternelle du moment où elle commence quelque part. Comme la vie, d'ailleurs. Vu ?

Résumons-nous au présent, alors. Au jour d'aujourd'hui. À ce qui s'y passe.

Il se passe une suc-ositée, si je puis me permettre. Je suis tout suc. Elle m'allume, la bestiole. Elle m'injecte son poison. Tout doucement. Tout poison. J'abandonne. Je m'abandonne. Je m'y abandonne. De la prostate à l'apex de la langue. C'est un trouble consenti. Plus qu'envoûtant. D'autant plus que ce n'est que d'une banale banalité, pour ainsi dire. Ce n'est ni de l'infra, ni du sur mais de l'in-humain. C'est un dieu collatéral.

Si la fin n'était pas nabokovienne, quelle autre pourrait-elle être ? Dans notre monde banal, dans notre vie banale. Dans notre monde et dans notre vie.

Quelle nécessité que je sois séduit ?

Comme si j'avais quelque chose de séduisant, moi. Pur commencer. Ou en échange. Quelque chose de séduisant en moi. Ou ailleurs, peut-être.

Et... ma fille ? Elle pourrait elle aussi se mettre dans la tête de séduire je ne sais qui. Elle est banale (en tout cas répétitive, standardisante) la nouvelle de Nabokov. Charmante. Subtile.

Ainsi – notre monde, notre vie et ce qui vient avec et après.

 

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7 novembre 2017 2 07 /11 /novembre /2017 15:51

Une histoire végétarienne

 

 

Je ne veux plus manger de la viande. Ni du gibier (je ressens, mélodramatiquement, d'accord, mais pas moins vrai, la douleur de l’être libre et chaud, fauché par la balle) ni, surtout, des bêtes élevée dans des batteries. Ni du porc, ni du poulet, ni du saumon… Rien de tout ça. Je ne supporte plus l’image que cette viande soulève dans mon être, dans mon étant. Les batteries pré-abattoiriennes, avec leur manque de lumière naturelle, avec leur manque d’atmosphère naturelle, avec leur manque de nourriture naturelle, avec leur plus d’hormones et d’antibiotiques à vomir... Tout ça me bloque. Me travaille. Me hante. Me torture.

- Même les vaches vivantes (qui donnent la viande de... bœuf morte), je n'en veux plus d'elles !

Il existe une photo célèbre, prise jadis aux abattoirs de Paris, à la Villette : trois ou quatre paires de pieds de bovins, avec leur sabots, contre un mur en briques. Une photo en noir et blanc, une peu travaillée « au niveau » ou « par rapport » (pauvre langue française !) à la lumière. Je ne me souviens plus du nom du photographe. (Il est présent dans certains livres d'art, pourtant.) Et d’autant moins des noms des bœufs-vaches (mauvaise blague) évanouis, non-présents dans l’image car morts – dont on avait immortalisé (!) les pieds.

Je trouve que l’humain est sinon abject, plus que fou.

Je veux passer à une nourriture saine ; en l’occurrence, végétale. Ne plus me fracasser la tête quant à la nourriture, quant à son pourquoi.

- C’est mon fils qui a ouvert mes yeux.

Il est végétarien, en train de devenir végétalien. En train de refuser même les œufs, les fromages… Un radis noir, coupé en lamelles extrafines, avec un filet d’huile d’olive, un peu de sel et une larme de jus de citron, voilà qui est bon. Ou, aussi, de la purée de pommes crues avec des pignes.

C’est mon fils. C’est ma représentation renversée.

Son végétarisme en train de devenir végétalisme lui apporte une paix qui m’agace et que j’envie. Il est sans doute tourmenté par quelque chose. On ne devient pas végétarien et végétalien tout simplement parce qu’on était bien et heureux. Certainement.

- Il n’a pas de petite amie.

Mais ça ne lui pose pas vraiment de problèmes. Moi aussi je n’ai personne dans ma vie. Çà va donc sans. Et pourquoi pas ?

Sa mère, elle, a un compagnon. Un pharmacien vivant seul, dans son appartement confortable à la Défense.

- Comment peut-on vivre au milieu d’un tel amas de gratte-ciels, bétons, vitres et glaces, jardins suspendus et vibrations permanentes (voies souterraines, chauffage et clim, ascenseurs toujours en marche, ordinateurs clignotants et clapotants, téléphones portables toujours allumés – et tout) ?

Elle a trouvé chaussure à son pied, elle. Elle est la mère de mon fils. Du sien.

- C’est comme si elle était ma mère détournée, perverse.

Dorénavant, on peut s'écouler, s'épandre dans toutes les directions. C’est ça la liberté. Enfin, ce qui se trouve avant la liberté proprement dite, avant le choix. C’est ça la pré-liberté encore plus grande que la liberté proprement dite…

Avec un bémol pourtant. Quelle mouche, qui de nous, sa mère ou moi, aurait piqué mon fils, le sien, le nôtre, pour qu'il renonce à manger de la viande, pour qu'il m'incite à emprunter le même chemin que lui ? Vers le passé très lointain de l’homme. Ou de Dieu.

 

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3 novembre 2017 5 03 /11 /novembre /2017 10:53

 

Besoin d'Œdipe

 

 

Besoin d'Œdipe ? Mais de quoi parle-t-on ? Du besoin ressenti par Œdipe ? De notre besoin d'Œdipe ? Ambigu, hein ! Œdipe même, dans son intégralité, si je puis me permettre, n'est qu'ambiguïté. Par voie de conséquence, tout ce qui est lié à lui (besoin compris) est taillé dans la même matière, l'ambiguïté.

D'une manière statistiquement majoritaire (pour ne pas dire « normale ») on a généralement un père et une mère.

Suite à cette possession, on arrive à se construire et à posséder un « moi », un « surmoi », un MOI et un « ça ».

C'est papa Freud qui l'aurait dit. Lorsqu'on est une personne « normale », je veux dire, masculine, on tombe amoureux de sa mère et on tue le père (pour le remplacer, parait-il). Quant aux personnes « anormales », féminines, je ne me prononcerai pas aujourd'hui.

Je suis de sexe masculin. Quoi qu'on en dise (ou pas), je possède une verge et deux testicules. J'aime les filles. D'où certains problèmes. Je n'ai pas comme tous les « normaux » un père et une mère, mais uniquement deux pères. Ou, si vous voulez, un père de trop et une mère de moins. Je ne peux pas m'œdipiser comme tout le monde. Je n'ai pas une maternelle de qui tomber amoureux, comme tout le monde. Je n'ai pas un paternel pour le tuer et pour le remplacer auprès de ma maternelle, comme tout le monde ; j'en ai deux.

Donc, stress ! 

Je ne peux pas parler filles avec EUX. Ils n'y comprennent rien. Pire encore, ils ont des opinions, EUX, que je ne comprendrai jamais, je crois. Leurs caresses ont été très gauches, dans mon enfance. Ils ne voulaient pas réveiller en moi des choses qu'ils connaissaient, mais que je n'avais peut-être pas. Ce qui, entre nous, n'est qu'une pitre connerie : si je n'en avais pas, il n'y avait aucun danger, et si j'en avais, il fallait m'aider à les réveiller...

Ils ne voulaient pas être accusés de corruption de mineur, bref ! Bref ! Comme si avoir deux pères à la place d'une mère et d'un père ne serait pas une corruption en soi !

Bref, c'est bien, mais que fait-on de mon besoin (de complexe) d'Œdipe, à moi ? Avec ou sans deux pères, je suis moi et personne d'autre. Or, un moi, quel qu'il soit, suivi d'un surmoi, quel qu'il soit, pour devenir ce qu'il doit devenir, un MOI, quel qu'il soit – précurseur d'un ça, quel qu'il soit –, doit résoudre son complexe d'Œdipe, quel qu'il soit. Il n’y a pas de MOI sans Œdipe. Et encore moins de ça, de ÇA.

Dans chaque MOI il y a un Œdipe. Chaque MOI avec son Œdipe.

Si Œdipe il y a, chaque MOI fonctionne avec les besoins de son Œdipe. Si Œdipe n'y est pas, chaque MOI fonctionne avec son besoin d'Œdipe.

Plus clair que ça, tu meurs. Oui, toi ! Parce que moi, j'ai tout ce qu'il me faut. Œdipe et pas Œdipe, besoin et pas besoin. Tout. Sauf une mère. Oui.

 

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1 novembre 2017 3 01 /11 /novembre /2017 09:53

La mort incomprise

 

 

Je ne peux être qu'autiste. Je ne comprends pas comment mon père pourrait mourir. Autour de moi, on ne prête pas attention à ce problème. La mort est réservée, paraît-il à tout le monde. Réservée, ça veut dire quoi ? Comment réserve-t-on la mort de quelqu'un ?

Problème de langage ? D'expression ? Soit ! Mais du moment où le langage fonctionne et où l'expression se fait capter, le contenu dudit langage, de ladite expression, ne serait-il pas réel, vrai ?

Donc, je reviens et je dis ne pas comprendre comment mon père pourrait mourir. Je ne comprends pas la mort, en général. Mais surtout celle-ci, la mort de mon père.

Il est moribond. A l'hôpital on me demande si je veux le faire débrancher. Ce n'est pas une question explicite. Mais elle est exprimée, quand même. Réelle. Vraie.

Est-ce que c'est la mort qui l'emporte ou la vie qui le quitte ? Voilà une question que j'aurais aimé poser au personnel médical. Mais ils n'ont pas le temps (l'envie) de philosopher avec moi. Ils sont immergés dans leur univers de maladies, excrétions et secrétions malsaines et nocives, médicaments et palliatifs, souffrance et cynisme, douleur et soulagement (par les médicaments ou par la mort). Ils n'ont rien à foutre de mes angoisses métaphysiques qui, d'ailleurs ne me concernent pas directement.

C'est la mort de papa que je ne comprends pas. Pas la mienne. Cette dernière, je ne sais même pas si elle existe. Si elle pourrait exister.

Mais la mort de papa... Ça me laisse pantois. Et je suis comme ça depuis que je me suis posé la question : c'est quoi que d'être papa ? Impossible de comprendre. C'est quoi que d'être papa et de mourir ? Encore plus impossible de comprendre.

Non, évidement, je ne suis pas fait comme les autres. Ils comprennent, eux. Et la mort et ce que c’est que d'être papa et ce que c’est que d'être papa et de mourir. Ils le disent. Ils le prennent comme ça, tout naturellement. Comme si il ne pouvait pas en être autrement.

Et, à vrai dire, pourrait-il en être autrement ?

Sais pas.

Mais comme ça, telles que les choses sont aujourd'hui, je ne les comprends pas. Je ne me comprends pas. Je ne comprends, on dirait, rien. Ce qui n'est pas vrai. Je comprends beaucoup de choses. Et même le fait que je comprends que je ne comprends pas la mort, en l'occurrence celle de papa, prouve que je comprends. Oui. Je comprends même que je ne comprends pas. Ça, je le comprends. Mais pas la mort. Pas ce que c’est que d'être papa. Pas la mort de papa.

Ce qui est sûr, c'est que je ne recevrai aucune médaille. Ni pour ce que je comprends, ni pour ce que je ne comprends pas. Comprendre ce n'est pas une question à médaille.

Remarquons que les autres s'en foutent pas mal de tout ça. Ils me considèrent fou ou bête ou que sais-je encore. Mais tant que je ne deviens pas agressif, comme il m'arrive parfois, ils me foutent la paix. Y compris avec la mort de papa.

Avec la mort incomprise.

 

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29 octobre 2017 7 29 /10 /octobre /2017 08:44

La femme fait l'enfant, l'enfant fait le père

 

 

Tombée enceinte, Gilda, ma femme, des cauchemars s'emparent d'elle tout les deux jours. Il s'agit presque toujours du même désordre agité. Elle se réveille en pleine nuit, elle se met sur son séant et m'appelle en sanglotant :

- Gaëtan, je ne vois rien, je suis aveugle.

Aveugle !

C'est vrai que la chambre est dans un noir total. Total et chaud. Il n'y a l'ombre d'une lumière, si vous voyez ce que je veux dire. Même le réveil est caché (notamment sous le lit, de mon côté), car Gilda ne peut s'endormir que dans un noir parfait. Un noir qui n'empêche pas les rêves, les cauchemars.

La grossesse est entrée dans notre vie par la porte de ce noir absolu, avec ce noir absolut. Elles se sont enveloppées l'une l'autre de ce noir absolut, la vie et la grossesse.

Et puis, les cauchemars.

D'une certaine manière, je suis émerveillé. L'homme peut modifier son environnement et le transformer dans un monde. En l'occurrence, le monde du noir. Il existe du noir parfait dans la nature sauvage. Dans les entrailles de la terre, ou dans la matière interne, aveugle du vivant. Dans la nature domestique, par contre, non. La domestication (forme édulcorée de dressage, selon certains philosophes d'aujourd'hui) réclame la lumière. Ce qui se passe dans les geôles des tortionnaires de tous bords, dictatoriaux ou démocratiques, n'est que du savoir « lumineux », enfin, un savoir particulier, le savoir de la lumière retournée comme un gant. C'est du noir obtenu, créé.

Aussi le noir créé dans notre chambre. Un noir forcé, obligé, artificiel. Gilda veut assurer un maximum des conditions appropriées à son enfant qu'elle est en train de secréter, de produire. Elle se met « au diapason du noir », pour lui mieux induire tout le reste, si vous voyez ce que je veux dire. Les sans-vue aperçoivent le monde d'une autre façon que les avec-vue. Souvent, ils sont des clairvoyants. Un peu par défaut, c'est clair (!). L'aveuglement mène à une sorte de clairière sombre. C'est notamment ce qui se passe avec Gilda. Elle fait son bébé dans le noir le plus intense possible dans une vie humaine – en le faisant sortir du noir et entrer dans la clairière terrestre.

Elle se réveille pendant la nuit, s'assoit sur le séant et m'appelle terrifiée :

- Gaëtan, je ne vois plus rien, je suis aveugle.

Elle souffre et elle le veut. Elle veut être aveugle. Elle veut en souffrir. En souffrir, avec moi à ses côtés. Elle veut tout partager. Autant avec le petit qui s'accroche à son intérieur qu'avec moi. C'est sa manière de susciter son propre abandon, son bonheur. C'est sa manière de muer. Elle croît en même temps que son glomérule. En même temps que notre glomérule. Le petit la fait grossir, croître. Ce n'est pas rien que de croître. C'est une douleur noire, non-ressentie, si vous voyez ce que je veux dire, mais pas moins une douleur. Une douleur d'autant plus grande qu'elle prépare le malheureux bébé à une sortie traumatisante, vers la lumière, vers le trop froid ou vers le trop chaud, vers la pesanteur, vers la solitude, et la malheureuse maman à un rejet maternel, un rejet désiré et non-désiré à la fois.

Gilda souffre ; en soffre. Elle se réveille, se met sur son séant et ne voit plus rien. C'est une douleur que de ne rien voir. Elle prend peur et elle m'appelle à son secours. Je mets ma main sur son dos chaud et je la caresse. Ça lui fait du bien. C'est comme si j'étais à l'intérieur et à l'extérieur d'elle en même temps. C'est ainsi que je la sens.

Et après, je crois que le petit, à sa manière, ressent tout cela lui aussi. Je sens tout ceci comme si j'étais à l'intérieur et à l'extérieur de lui et, même temps. À l'intérieur et à l'extérieur d'eux deux, en même temps. Je suis père. Que je le veuille ou non. À l'extérieur et à l'intérieur de nous.

 

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26 octobre 2017 4 26 /10 /octobre /2017 10:10

Mon devoir, garder le silence

Ça me torture. Je suis inerte. Je subis. Je suis pressé, malmené. Sans avoir mon mot à dire. D'ailleurs, quels mots pour ce que je vis ? Quels mots pour quelle vie ? Il n'y a pas des mots pour l'incertitude qui enveloppe la certitude. Pas de mots pour le soupçon qui ronge mes tripes dans un silence assourdissant. Qui me tue.

Le peu d'énergie qui m'anime encore est absorbé par une espèce d'avenir qui n'en est pas un. On suce le peu d'énergie qui me reste. C'est impersonnel. Ça ne m'appartient pas. Ni l'énergie, ni la puissance absorbante. Ni moi-même, en fait. C'est le mal. C'est le mal qui fait tout. Un mal menaçant.

Un début de dépression, peut-être ? Soit ? En tout cas, le mal y est. Ici.

Je n'ai aucune preuve, mis à part mon soupçon. Aucune. Mais j'ai de mon côté le savoir. Mon savoir.

Je sais qu'Albertine n'est pas mon enfant, mais celui de Christophe, mon frère. Comment le sais-je ? Comme ça, tout simplement. Il n'est pas exclus que je sois le seul à le savoir. Christophe et Hélène, mon épouse, peuvent se dire eux aussi qu'Albertine serait leur « fruit » à eux. Mais ils se peut qu'ils ne soient pas sûrs comme je le suis moi. Ils savent qu'ils avaient couché ensemble. Mais ils ne savent pas s'il avaient procrée. Ça non, il ne le savent pas. Ils ne peuvent pas le savoir. Ils peuvent uniquement le soupçonner.

Tandis que moi, je le sais, moi. Tout en soupçonnant, certes. Mais je le sais pertinemment. Il ne peut être autrement du moment où je suis habité par le soupçon.

C'est comme ça. C'est ça. Et pas autrement.

Ils ne peuvent pas vivre ma douleur. La douleur est la seule chose sûre dans ce monde. Le bonheur n'est pas sûr. Il ne peut pas être sûr. Il ne peut même pas être ressenti tel que la douleur. Il ne peut pas être la preuve, la justification de la vie.

Ma femme a couché avec mon frère. Et je dois me taire. Leur enfant c'est comme s'il était le mien. Comme si, mais pas sûr.

Si je voulais les tuer, je n'avais qu'à parler. Mais je ne le veux pas. Du moins, pas encore. Je suis fort. Je me tais.

 

Blog : www.alexandre-papilian.com/

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