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  • : Alexandre Papilian
  • : Ne pas être seul dans la proximité de la création. - Partager ce qu'on peut partager pendant la lutte avec les ombres - pendant la danse avec. Personnalité(s) forte(s) et inconfondable(s), se faire intégrés dans des communautés riches en névrosées, bien intégrées dans le monde actuel.
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  • Alexandre Papilian
  • Ecrivain et journaliste franco-roumain. Le sarcasme dépasse de loin la tendresse qui,elle, reste un voeu créateur de nostalgie. Volilà !
  • Ecrivain et journaliste franco-roumain. Le sarcasme dépasse de loin la tendresse qui,elle, reste un voeu créateur de nostalgie. Volilà !

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26 septembre 2010 7 26 /09 /septembre /2010 09:44

 

Œuf de fou

 

 

« Quelle est la différence entre nous et une maison de fous ? Eux, ils ont une direction lucide ! »

Blague audiovisuelle. 

 

« La folie de l’homme raisonnable est

anatomisée à fond par le clin d’œil du fou. » 

Shakespeare, Comme il vous plaira, II, 7 56-57

 

 

 

I

 

2a

Les yeux de Zakharias Cocâltãu, un homme de taille moyenne, plutôt maigre et assez effacé fixaient la page. Il ne la lisait pas. À croire que le Directeur Général la photographiait. Il rayonnait une subtile immobilité sculpturale. Enfin, après quelques instants, il leva les yeux. En face de lui, assis dans un des deux fauteuils spartiates de bureau, en cuir et métal, Pierre Laisarde, un des Délégués Syndicaux de la maison, petit, vivace, avec des cheveux noirs et joliment bouclés, abordait une attitude de digne humilité. Il était ferme, révolutionnaire et objectif.

- Je comprends, dit Cocâltãu. Mais je crains de ne pouvoir rien faire. C’est le domaine exclusif du Directeur des Français, de Stroë. Et je ne vois pas comment le persuader. Quels sont vos arguments ?

Un sourire ambigu, malin, servile, diaboliquement mesquin, s’étala sur la figure du Délégué Syndical.

- Il y en a deux. L’un de type intellectuel, l’autre de type social.

- Vous n’allez pas vous mettre en grève pour ça, quand même.

- En grève, peut-être pas. Pas pour l’instant, au moins. Mais, vous savez, comme pour toutes les missions, la brigade sera sollicitée.

- Mais, qu’est-ce qu’elle a à faire dedans la brigade ?

- Question de solidarité. Notre collaboration est vraiment très serrée. Pratiquement, toutes les missions, nous les faisons ensemble, les techniciens de la brigade et les journalistes sportifs. Sur le terrain, vous savez, les liens qui se tissent entre les gens attelés à la même tâche s’avèrent souvent indestructibles. Ce n’est que du Marx et de l’Orwell. Cela pour faire simple.

- Ce que tu fais, maintenant, dit le Directeur, c’est de la psychologie. D’où tiens-tu ce savoir-faire ? De ton Syndicat ?

- Je me réjouis du fait qu’on se tutoie. Il était temps ! Ce n’est pas seulement du Syndicat que je tiens cette technique, pour répondre à ta question. C’est aussi une affaire de bon sens. De ce point de vue – je parle du bon sens –, de ce point de vue, je ne suis qu’un dilettante, c’est vrai, mais, sans me vanter, un dilettante de génie. Enfin, tout ça pour dire que l’idée n’est pas mauvaise, je trouve ! Elle déborde même de bon sens, il faut le reconnaître. Elle est grosse, en plus, d’une originalité indéniable. Qui, dans ce monde sous-lunaire, pourrait oser une telle aventure ? Commenter en direct, à la radio, intégralement et en solo la course du Marathon ! C’est unique au monde, c’est clair !

- Mais il n’y aura pas de Marathon en Nomadie. Il s’agit simplement d’un Sommet de la Francophonie. Un Sommet comme tous les autres. En l’occurrence, de la Francophonie.

- Justement ! Organisons-en un ! Je veux dire, un Marathon. Les comptes rendus politiques et les interviews de tous genres, c’est bien. Mais un Marathon, là où personne ne s’attend, c’est encore mieux ! C’est absolument révolutionnaire. À la limite, même pas besoin d’en organiser un. Il suffit de le transmettre.

Zakharias Cocâltãu photographia son interlocuteur d’un regard ébahi.

- Je ne comprends pas.

- Pas besoin de comprendre. Just do It et, en échange, tu auras la brigade à côté de toi. Dans la confrontation avec Madame Pinçon, l’aide de la brigade vaut de l’or, fais-moi confiance. À propos, tu sais quel est son surnom ? Je parle de la mère Pinçon.

- Non ? C’est quoi ?

- La Naine-qui-pue !

Le Directeur éclata de rire.  

 

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25 septembre 2010 6 25 /09 /septembre /2010 06:38

 

Œuf de fou

 

 

 

« Quelle est la différence entre nous et une maison de fous ? Eux, ils ont une direction lucide ! »

Blague audiovisuelle.

 

« La folie de l’homme raisonnable est

anatomisée à fond par le clin d’œil du fou. »

Shakespeare, Comme il vous plaira, II, 7 56-57

 

I

1

- On ne pourra pas cacher la vérité.

Stroë adressait ces paroles à la machine à café du couloir. Il n’y avait personne autour de lui.

- D’ailleurs, on n’a nullement l’intention de cacher quoi que ce soit, continua-t-il, toujours en direction de la machine. On n’a nullement envie de priver quiconque de quoi que ce soit. Le gouvernement français, tous les gouvernements français sont élus pour que le service public français ait quelqu’un contre qui diriger ses critiques, ses protestations, ses grèves. Ce n’est pas une chose à dire au micro, au monde, mais seulement à la machine à café.

- Et encore ! répondit celle-ci.

Une fois ces paroles bien soigneusement articulées (l’expérience du microphone change le verbe, le parler, voire la vie de celui qui la vit, humain ou machine à café ; c’est, toutes proportions gardées, pareil pour ceux qui passent par le Grand Caprice, par Son expérience ; surtout lorsque le Mal et le Bien arrivent comme des effluves de la direction de ce même Grand Caprice), Stroë empoigna son gobelet et se dirigea vers la cage d’escalier. Accoudé devant la grande vitre donnant sur le RER, la Seine et la Tour Eiffel, il prit une première gorgée. Tout en regardant ces images extrêmement parisiennes.

<>

Certains des héros de cette histoire travaillent dans une des rédactions du sixième. Les rédactions « en langues », peuplées de « métèques ». D’autres, « les grenouilles » du cinquième, du quatrième, du troisième et du bâtiment d’au-delà de la ligne de RER, le Tripode, peuplent les rédactions et les services « en français ».

La scène générale, la scène sur laquelle évoluent à la louche, à la pelle, « métèques » et « grenouilles », est celle de RFI, Radio France Internationale.

Stroë y gagne son droit d’être imposé par le fisc français.

Il y travaille sous l’autorité de nombre des Directions Générales, patronnées, elles, par la Présidence Direction Générale, en abrégé, la Présidence, qui patronne autant les Émissions en Français, les Émissions en Langues Étrangères (y compris les Émissions en Langue Méconnue), que les différentes Annexes (Relations Internationales, Formation Internationale, Musique, Silence…), les Filiales, l’Administration, la Direction des Ressources (avec ses deux sous-directions, les Ressources Humaines et les Ressources Inhumaines).

- Question d'organigramme.

La Présidence a comme principale sinon unique tâche le maintien de la paix sociale dans l’entreprise, dans cette « contrée RFI » où, comme on dit de plus en plus souvent, les idiots de tous bords et les imbéciles en tout genre doivent être laissés tranquilles.

- En paix!

Stroë est le Directeur des Émissions en Français.

Il est triste et nostalgique.

Il est parfois violent.

Il est, depuis toujours, à la quête du Grand Larcin et, depuis peu, du Mélodrame ; pour lui, un sorte de Saint Graal.

<>

De retour dans son bureau, situé juste à côté de « l’open » du Secrétariat de Rédaction, Stroë reçut la visite d’Ică Glande, son homologue des Rédactions en Langues, qui, massif, goujat et brutal, comme toujours, cherchait un refuge. – Il fuyait Ginette, une ancienne assistante de production, qui, cancéreuse (y avait beaucoup des cancers à RFI), toujours en vie et retraitée, rendait de temps en temps visite à ses anciens camarades et collègues. Aujourd’hui, elle avait déposé son sac sur le bureau de Quoquo (l’assistante qui l’avait remplacée), absente pour l’heure de la rédaction en langue ***. Ensuite, Ginette était sortie pour voir ses camarades des autres rédactions.

- C’est qui qui a mis ça sur mon bureau ? avait demandé Quoquo, de retour dans la pièce, avec une évidente aigreur méprisante.

- Ginette.

- Pouah ! Cette femme ! La mort la cherche chez elle, et elle vient nous infester, ici !

Ces paroles furent vite relayées par Radio-Couloir, la plus efficace des radios, jusqu’à Ginette, trois étages plus bas, où celle-ci bavardait en infestant l’existence d’autres ex-collègues. Ginette avait éclaté en larmes et, les yeux sortis de leurs orbites, tous cheveux hérissés, avait fait irruption dans le bureau d’Ică pour lui demander réconfort et justice.

- Je me suis enfui comme un lâche ! soupira celui-ci en regardant Stroë, son ex-compagnon d’avant le Grand Caprice. T’as pas quelque chose à boire, par hasard ?

- Quand est-ce que tu m’as surpris à sec ?

Mais Stroë n’eut pas le temps d’ouvrir le petit frigo bien dissimulé sous le bureau, toujours bourré de bouteilles diversement colorées : le téléphone sonna, et Stroë décrocha.

- Fais-le entrer !

La porte s’ouvrit et le chef des Reportages fit son apparition dans la pièce1. Il venait informer son directeur, Stroë, du fait qu’un des journalistes de son service ne voulait plus partir en mission.

- Il dit qu’on meurt trop aujourd’hui. Il dit que tout le monde, voire l’univers, partage son opinion : partir en mission dans le monde, dans l’univers, aujourd’hui, c’est suicidaire. Dans le meilleur des cas, c’est une visite rendue à l’intérieur de son futur cercueil. Il fait chier, quoi ! Il nous agite aussi sa Carte de Journaliste et ses Syndicats. Chier ! C’est clair ! Chier grave !

- Non, mais ! tonna Stroë. Pour qui se prend-il ? Tu vas lui dire qu’il a le choix : ou bien il avale ses pilules de kamikaze et il fait en sorte qu’on ne voit plus ses os ici, à Paris, mais qu’on l’entende illico presto bramer ses correspondances à l’antenne, ou bien il prend rendez-vous avec son banquier pour voir comment il va nourrir ses enfants une fois mis à pied et limogé ! Tu lui diras en plus, amicalement, que je t’ai dit confidentiellement qu’un con pareil, je n’en ai pas vu depuis très longtemps, Carte ou pas Carte, Syndicats ou pas Syndicats ! Compris ? ! Sinon, tu veux boire quelque chose ? J’ai une tequila mortelle !

Après s’être exécuté et avoir avalé un demi-verre, le chef des Reportages quitta le bureau de Stroë, l’estomac ulcéré, la tête basse et la queue entre les jambes. Il savait bien que le service tout entier allait le culpabiliser. C’était lui qui allait porter le chapeau et pas Stroë, qui faisait peur à tous avec son inconnu2.

- Que c’est con ! dit Stroë à vois basse, quand la porte se fut refermée derrière le malheureux chef du rebelle.

En remplissant de nouveau les verres :

- Con ! Il n’y a pas d’autre mot ! Je parle de tout et de tous. Tout est con. Tout ! Ce sont des cons, tous ! Mais tout ou tous ne veut pas dire assez.

Après avoir donné son verre à son hôte, en levant le sien :

- À nos couilles !

Ils levèrent le coud. Ils burent.

- Ça tombe bien, dit ensuite Stroë. Je voulais te parler un peu de cette mission en Nomadie. J’aimerais que tu prennes ma nouvelle – tu ne la connais pas, c’est du tout frais – sur ton budget. Je ne sais pas, comme consultant peut-être, ou quelque chose de ce genre. Pour moi c’est impossible. J’ai les Finances sur mon dos tout le temps. Toutes mes lignes budgétaires sont regardées à la loupe. C’est pire qu’un contrôle de la Cour des Comptes, pire qu’un redressement fiscal. Je ne sais pas ce qu’elle veut, la mère Pinçon…

Après une pause :

- Je ne la baise pas.

- Et ça ne fait que l’enrager, compléta Ică en avalant une nouvelle lampée d’alcool. Elle descend bien, ta saloperie. Hooouuuh, ça secoue ! Et dire qu’il ne nous est pas difficile ! Enfin ! Je vais voir. Pourquoi pas ? Mais consultante en quoi, de quoi ? Qu’est-ce qu’elle sait faire ?

- Normalement, rien.

- Rien ! ?

- Rien ! Justement ! Elle est étudiante, mais que dis-je, spécialiste en Oubli. Le rien le plus humain.

Les deux directeurs avalèrent encore une gorgée de tequila.

- Je peux essayer, dit Ică Glande. L’idée de l’Oubli me plait. Oui ! Il y a des ténèbres dedans. Comme le sous-son d’une sous-contrebasse ou d’un sous-tuba. Oui, oui. Ça me dit. Je la prends. J’aurais à essuyer les foudres de ma Junon, mais je pense que ça ira. En plus, son dada actuel est le Souvenir. Je parle de la mienne. Elles feront une belle équipe, ta nouvelle et mon ancienne – avec leurs Oubli et Souvenir. On les mettra ensemble, pour s’annihiler l’une l’autre, et nous allons nous faire entre temps la petite Yovanka ! Qu’est-ce que t’en dis ? Elle est si pâle, ses yeux sont tellement cernés, elle a un air si triste ! Elle me tue ! Je n’en peux plus ! Je dois me la faire ! Seul ou avec toi. Ou les deux3. Je sens que ce sera exquis.

- À condition qu’il n’y ait pas de grève, marmonna Stroë.

- Je comprends et je compatis, ironisa Ică. Il n’y a rien de plus Larcin et Mélodrame qu’une bonne grève. Mais, hélas, il n’y aura pas de grève. Il ne se passera rien. Rien. Au maximum une petite manifestation interne. Et encore ! Depuis que les jours de grève ne sont plus payés, depuis que le Larcin et le Mélodrame sont passés dans la vie réelle, rien ne bouge, tu ne vois pas ? Il n’y aura rien, crois moi.

Ică montra ses dents dans un sourire obscène et gai.

- Surtout pas de grève des bites !

Ensuite, avec une certaine tristesse :

- C’est ça la vie : du sexe et du social. Du social-sexe !4

 


 

1  Mot ambigu, car pièce-pièce, ou pièce de théâtre. Ou les deux. Mais pas pièce-monnaie. Ni/ou autre...

- Ambiguïté incomplète, donc.

Hum... Suspecte, donc.


2 C’est connu et reconnu : les journalistes maîtrisent exclusivement le connu. On dit parfois qu’ils sont les maîtres du connu. L’inconnu ? Trop compliqué ! Il leur fait peur, il leur donne la nausée ! Au mieux, il les ennuie ! D’autant plus, lorsqu’il s’agit d’un chef et, implicitement, de l’inconnu de celui-ci.

 

3 Dans le couloir, la machine à café disait à qui voulait l’entendre :

- Les regards échangées par les deux Directeurs furent des éclairs d'ironie folle. Des éclairs hystérisants et pourtant bienfaisants.

4 Dans le couloir, la machine à café disait à qui voulait l’entendre :

- Les deux directeurs vidèrent leurs verres. Dans leurs regards troubles et vides, étincelaient très discrètement des soupçons de conscience, de concupiscence, de lubrique, de luxure, ainsi qu’une larme de quelque chose autre, de quelque chose exagérément, drôlement petit, dont on ne pouvait pas dire si c’était du souvenir ou de l’oubli.

 

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24 septembre 2010 5 24 /09 /septembre /2010 13:51

 

 

 

Œuf de fou

 

 

 

« Quelle est la différence entre nous et une maison de fous ? Eux, ils ont une direction lucide ! »

Blague audiovisuelle.

 

« La folie de l’homme raisonnable est

anatomisée à fond par le clin d’œil du fou. »

Shakespeare, Comme il vous plaira, II, 7 56-57

 

 

Mise en perspective

 

Ces textes farfelus, risquent de devenir un livre. Presque contre leur volonté. Presque à leur insu. - D'autant plus s'il y avait de commentaires...

  - Certes.

Le début de leur rédaction se situe au moins dix ans en arrière, peut-être quinze. En tout cas, ils se situent dans les sillages d'un opus publié vingt-sept ans plus tôt, dans une langue de circulation restreinte.

- D'où l'apparition dans le texte présent de la « langue méconnue ».

<>

Si la reprise du filon littéraire de jadis ne peut pas être située avec précision dans le temps, on peut voir, par contre, que des sujets comme ceux de la Francophonie, de la Nomadie et/ou de la Mondialie, attaqués hier, se trouvent aujourd'hui en pleine actualité. Celui de l'inceste (assorti ou pas de certaines formes de pédophilie), pas moins. Celui de l'incompétence et de la perversité des énarques, ça va de soi. Celui de l'homo, bi, hétérosexualité, naturellement. Celui de la prise d'otages, pareil. Celui du syndicalisme. Celui du sport. Celui de la communication et du public communicant, aussi. Le journalisme – plus que jamais...

<>

Ce n'est pas le sommeil de la raison qui fait naître des monstres (comme indiquait Goya, dans ses Caprices), mais la lucidité. Certains pratiquants de la dépression la trouvent même responsable des suicides, la lucidité.

<>

Pour autant, il est difficile d'accepter l'idée que la lucidité pourrait ordonner la création consciente descaprices, voire du chaos.

Prenons un simple exemple :

  - Qui pourrait imaginer d'une manière consciente et lucide qu'une radio ou une télévision internationale auraient encore une raison d'être dans l'époque de la décolonisation terrestre et de la colonisation satellitaire et électronique, par l'Internet et par la sur-information facilité sinon provoquée par celui-ci ?

Ou un autre :

- Qui pourrait imaginer, d'une manière consciente et lucide, que dans « le domaine de l'information », celle-ci, l'information, ne soit pas « mise en perspective », « réformée », voire « déformée » d'une manière tout à fait naturelle ? Avec les conséquences qui s'imposent. Notamment, qui alors pourrait conférer le statut de vérité à une nouvelle, quelle qu'elle soit ? Comment pourrait-on accorder d'une manière consciente et lucide sa confiance à l'information,même venue de la part d'une personne de... confiance ? Pour ne pas parler de l'information venue de l'on ne sait pas où, voire du néant ?

<>

Il est vraiment difficile d'accepter l'idée que la lucidité pourrait ordonner la création consciente descaprices, voire du chaos, disais-je.

- Ni la création de la mort.

Cela, pour donner un peu poids, un peu de gravité à cette chose aérienne, souvent insaisissable, définie comme caprice, voire folie, qui, décidément, en manque.

- Qui est en manque.

Qui !

<>

Si tout était vrai, à quoi servaient-ils la contrevérité, le mensonge, la bêtise, l'ânerie, la folie ?...

<>

Par conséquence, le journaliste, « le facteur humain » de tout ce bordel, ne pourrait être qu'inconscient, autant bienveillant que malveillant ce soit ?

- Ou fou !

- Ou ! ! !

<>

Pour ne pas parler de la mort comme solution.

- Comme.

<>

En même temps, quoi de plus humain – c'est à dire, de civilisé – que le caprice ?

- La folie, peut-être ?

La !

Échappatoires universels, les caprice, forme édulcorée – ou pervertie ! – de folie,rendent la vie (humaine) supportable. Quand ils ne la rendent pas insupportable.

- Il n'y a ni d'espace ni de temps entre les deux ; entre le supportable et l'insupportable.

Une vie sans capricesrelève du machinisme. Une telle vie n'est qu'une pauvre machine.

- Tandis qu'une vie avec,est une toute autre chose.

N'est-ce pas ?

<>

Àl'instar des bouillons de culture, une radio internationale, par définition, ne peut être qu'un milieu super favorable pour la culture capriciale, manquant de temps et d'espace. En tout cas, Radio France Internationale (RFI) en est un.

- Du moins pour ou dans l'esprit de l'auteur!

Le journalisme, forme disjonctée de littérature, forme disjonctée de philosophie ; parfois, forme d'anti-littérature et d'anti-philosophie ; le journalisme, art à part entière et en pleine mutation, se nourrit d'une réalité crée par lui même, ce qui le rend implacablement indispensable à ladite réalité.

<>

Fou, le journalisme ? Folle, la réalité ?

- Et alors ?

- Et tant pis !

Pour ne pas dire :

- Et puis, merde !

 

<><><>

Le problème qui se pose, en parcourant ces textes qui risquent de devenir un livre cohérent, est le suivant:

- Pourquoi tant d'irritation ? Pourquoi tant de méchanceté ? Pourquoi tant de haine ?

- Pourquoi un Œuf de Fou ?

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21 avril 2009 2 21 /04 /avril /2009 08:02



8

 

[lorsque les lumières s’allument de nouveau, sous la banderole Pourquoi a-t-il une queue, l’éléphant ? on voit une autre : Pour qu’il ne se termine pas brusquement !]

L’homme

            Finissons en queue d’éléphant ! Nous sommes du vrai ! Vraie queue d’éléphant qui ne laisse pas la fin arriver comme ça, d’un coup. [pause] Nous-mêmes, nous ne finissons pas comme ça, d’un coup. On dirait que nous ne pouvons même pas finir, nous ! [pause] Je quittais tout en quittant la Roumanie. J’y laissais une femme de qurante-cinq ans, trois enfants jeunes-adultes, énormément de parents, frères, sœurs, cousins, neveux et nièces, amis copains, des simples connaissances. Bref, une société ! Pareil, une carrière moyennement compromise, mais pas très mauvaise. [pause]  C’est-à-dire - enfin, je veux dire que - dix ans avant la chute de Ceausescu - j’avais changé de cap. J’étais devenu un quasi-dissident.

 

La marionnette

            Quelqu’un de bien : ni trop mauvais, ni trop bon. Un à-peu-près.

 

L’épouvantail

            On ne composait, créait… inventait !... plus de chœurs écœurants à la gloire du Camarade et de la Camarade. On composait, par contre, des suites et des concertinos. Jamais joués. [pause] Dirait-on : du parfum albanais ?

 

L’homme

            Je me suis lentement et sûrement éloigné du cercle des lèche-culs actifs. Mais je ne me suis pas efforcé d’effacer les faits accomplis, ni d’imposer mes nouvelles créations, apartiniéennes, apatriotiques… J’étais un tiède, un raté bien placé socialement. Mon nom n’était ni trop mauvais, ni trop bon. Moyennement (mais pas moins) depotoirisé. Comme je disais, un à-peu-près. Un de ceux que Dieu vomit de sa bouche.

 

La marionnette

            Une fois arrivé à Paris, tout bascula.

 

L’épouvantail

            Ça a été très soudain.

 

L’homme

Très soudain, absolument. Comme… je ne sais pas comme quoi, comme qui. Il n’y a pas de comparaison. [pause] J’étais quelqu’un au futur court, certes, mais largement béant.

 

La marionnette

            Il ne pouvait pas se renouveler.

 

L’épouvantail

            Chose ressentie avec un lourd désespoir.

 

L’homme

            Au mieux je pouvais être quelqu’un de sous-humble, d’infra-simple. Je vivais cette volatilité qu’est la sensation de ne pas trouver un certain endroit assez peuplé par des valeurs inter-conciliables et, ensuite, compatibles avec moi-même, un endroit qui puisse me servir de squelette extérieur, qui puisse me squelettiser extérieurement. [pause] J’étais un nulle part ambulant.

 

L’épouvantail

            Plutôt étonné, tu essayes à présent de saisir la couleur de ta propre flamme psychique.

 

La marionnette

            [explicatif] Il est trop vieux pour haïr.

 

L’épouvantail

            Tu aimerais, seulement, avoir la paix.

 

La marionnette

            Il aimerait ne plus faire du mal.

 

L’épouvantail

            Pareil, tu aimerais d’oublier le bien que tu n’as pas fait.

 

L’homme

            Pour toujours. Pour toujours.

 

L’épouvantail

            Oublier pour toujours.

 

La marionnette

            Le bien qu’il na pas fait pour toujours.

 

L’homme

            Le bien que je n’ai pas… [pause] …Pardon ! Voilà ! Je demande pardon ! Je ne demande même pas de la compréhension. Même pas de la tendresse. Ni d’amour. Même pas.

 

L’épouvantail

            Tu n’es ni Dieu, ni totalité.

 

La marionnette

            Encore faudrait-il qu’ils existent, eux !

 

L’homme

            Je crois n’être aucune de ces… inventions nécessaires au bien-être de notre stupidité capable de vide, réconfortante.

[pause]

 

Le porteur de pancartes

            [la nouvelle pancarte : POST-SCRIPTUM]

 

La marionnette

            Ayons une queue d’éléphant.

 

L’épouvantail

            Soyons l’éléphant d’une certaine queue.

 

L’homme

            Élephantisons D’un coup. Disons que tout ça [indiquant l’épouvantail] - à cause de cette ordure. À cause de ma névrose.  

La marionnette

            C’est pareil. Ordure, névrose… Pareil. C’est pareil dans son cas. Dans les cas pareils.

 

L’homme

            Ou, peut-être, c’est à cause d’autre chose.

 

L’épouvantail

            [geste : « tu parles ! » ; ensuite, en parlant de l’homme] On voit avec une extrême clarté la mort approcher. On va mourir bientôt. Très. Très bientôt. Comment ressent-on la mort qui approche ? Comment ?

 

La marionnette

La mort. C’est comment... La mort...?

[Long silence]

 

L’homme

            [au public, avec l’espoir d’être contredit] Ce n’est pas un dépotoir, au moins ?!?... [pause] Il fait noir. Il fait froid. Ici. Dans la queue de l’éléphant ! [en chouchoutant, après une pause] Une Révolution ?... Un Révolution... à moi ?

 

[Long silence. - Noir. - ...Eventuellement, dans le noir:

 la chanson de John Lenonn,  « Revolution »]

ou

[Long silence. - La chanson de John Lenonn « Revolution » plus une sarabande des personnages. La lumière s’éteint, peu à peu, mais la danse continue ; les personnages sont munis des torches électriques ; ils sortent un par un de la scène qui reste dans le « noir sonore »…]

 

Fin

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18 avril 2009 6 18 /04 /avril /2009 13:21

7

 

L’homme

            À Pékin, pour vingt-quatre heures. Du tourisme. Le ciel, les volumes, l’espace, sont extrêmement différents par rapport à la Roumanie... -  J’apprends qu’on ne va pas prendre le même chemin, pour le retour. Nous allons nous diriger, d’abord, vers le Pakistan, ensuite le Liban, et la Grèce. Ça me fait plaisir.

L’épouvantail

            « Mais, pas de réception, dit Zoé. Je n’ai pas de robe. J’ai que ces trois paires de pantalons. » - « Pas de réception », promet Iliescu.

L’homme

            ...En haut de la Grande Muraille, le souffle coupé, ma poitrine est pleine d’une joie indescriptible. Ouais!, sans blague! Personne de ma famille, aucun des miens n’a jamais mis les pieds par ici, et on ne sait pas si quelqu’un  le fera après moi! - Ensuite, en regardant Zoé trotter énergiquement sur les dalles multimillénaires, je me rends compte que - c’est comme ça la vie! - nous avons vu ensemble les deux Murailles de notre monde, de Berlin et de Chine.

L’épouvantail

            Et voilà l’histoire !

L’homme

            L’histoire ? L’histoire ? L’histoire ?

L’épouvantail

             « Je crache sur le nom de Ceausescu ! » [en criant]  « Je crache sur le nom de Ceausescu ! » Voilà l’histoire ! [ironiquement] Zoé ! Pauv’ fille !

 

[Boucle sonore. Lumières agitées. - Le vacarme s’arrête soudainement, en pleine lumière.]

La marionnette

A Karachi, surprise ! C’est le ministre de la Jeunesse qui les accueille. Iliescu bouillonne. Zoé, pareil. Au propre (la chaleur est épouvantable) et au figuré. Ils partent, en roulant à gauche, des Jeeps militaires en tête de la colonne pour vous frayer un chemin dans ce bordel de voitures, de fiacres, de feux manquants et de piétons « pluridirectionnels », pour la résidence qui leur a été réservée, aux murs entièrement couverts de glycine mauve fortement odorante. Le ciel est très gris et très bas. L’atmosphère est saturée de vapeurs. Un garde militaire leur présente les armes, à l’entrée.

L’homme

            Dans le grand hall, quelques hélices, immenses, suspendues au plafond, font mine de ventiler l’air plus qu’humide. Nous sommes attendus par quelques compatriotes de l’ambassade, que nous trouvons trop élégants, trop aimables, trop préoccupés par leur tennis, golf, polo..., trop habillés de vêtements légers, aux nuances claires...

La marionnette

            De trois côtés du hall se dirigent vers eux trois domestiques dans de longs vêtements blancs, avec de grands turbans sur la tête, nus pieds dans des sandales aux minces barrettes, et portant des plateaux avec des boissons rafraîchissantes de toutes sortes et de toutes les couleurs. La caverne d’Ali Baba !

L’épouvantail

[fait entrer le porteur de pancartes muni de deux pancartes ; sur la première : PAS DE ROBE] « Je n’ai pas de robe. » - « Comment ça, camarade ? » s’étonne sincèrement la femme de l’ambassadeur. - Zoé hausse les épaules. - [à l’homme]...Ensuite, silencieuse, avec un rien refroidissant, de Gorgone Méduse, dans son expression, ta Zoé montre ses dents... Puis, elle fait signe à l’un des trois bruns habillés en blanc de s’approcher avec son plateau de boissons rafraîchissantes... [ironiquement] Ali Baba ! Sinon rien ! [la deuxième pancarte du porteur de pancartes : ALI BABA ! ALI BABA !]

L’homme

            À peine suis-je entré dans ma chambre, après la réception - Zoé s’y est rendue en pantalons -, dans la nuit, tard, que j’entends des voix agitées sur le palier. - Il y a un lézard sur le plafond de la chambre de Zoé. - Elle ne peut pas dormir avec des reptiles dans sa chambre ! - Iliescu, jeune et aimable, sûr de lui et de ce qu’il doit faire, s’offre à... - Zoé me raconte avec humour, le lendemain, que la chasse a duré plus d’une heure et demie. - Oui, la chasse !

La marionnette

[après une pause] A Beyrouth, le chargé d’affaires est un homme petit, trapu, affable, aimable. - Iliescu, quant à lui, doit rencontrer deux délégations libanaises de la jeunesse. Des cocos, bien sûr ! Ni Zoé, ni lui, ils n’avaient pas à participer aux discussions. Elles n’étaient pas pour eux ces discussions. Because ? Des armes ? Des drogues ? Des ventes de juifs, d’allemands ? C’est quoi l’impossible ?

L’épouvantail

            Promenade avec Zoé. Accompagnés par le chargé d’affaires. Vous flânez et contemplez la ville mi-européenne, mi-orientale... Provocatrice, Zoé demande du hachisch. Le chargé d’affaires se défausse avec une certaine élégance. Le salaud ! Dans la rue, Zoé caresse un roquet que vend un arabe. Le chargé d’affaires l’achète et l’offre à Zoé. (Tiens. Entre parenthèses : ceux qui l’ont arrêtée disent qu’elle possédait une balance en or pour peser la bouffe de son chien... Parenthèse fermée.)  « Comment l’appeler ? » demande la fille de Ceausescu en examinant avec ironie et dégoût le petit animal, moelleux et bête, qui regarde le monde avec des yeux troubles. « Habibi », propose le chargé d’affaires. Le visage de Zoé s’illumine. Parfait. Et Habibi fut !

L’homme

            [après une pause] ...Là, dans mon passé - suite. Je veux dire: ensuite. - À Athènes..., la lumière du ciel et de la Méditerranée, les oliviers petits à la feuille verte-blanche, l’éclat des colonnes de marbre et tout le cinéma et tout, plus l’idée qu’on a fait un tour du monde que peu pourraient faire, m’accablent et de joie et de colère. Pourquoi - donc et diable ! - rentrer en Roumanie ? Pourquoi retrouver la sombre télé où m’attendent des reportages à illustrer musicalement, avec des jeunes parlant d’une manière inintelligible, ignorants d’une manière insolente, brutaux, soumis à la peur parti...éenne, et..., et avec des constructeurs « enthousiastes » d’hydrocentrales ? Pourquoi m’immerger de nouveau dans l’inquiétude quotidienne du manque d’argent, dans la poussière des rues, dans l’odeur de fer brûlant, de gaz d’échappement et de sueur des bus bondés, dans le noir idiot où l’on mène la bataille contre la censure, dans...? - [à l’épouvantail] - Disons que t’es Zoé. Et moi je te pose la question:  « Et si on se faisait la belle ? » - Et toi, qu’est-ce que tu me répondes ?

L’épouvantail

            [à l’homme] Mais je te réponde conforme: « Allons-y ! » Et je te regarde droit dans tes yeux !

La marionnette

            [de l’homme] Mais lui..., [geste de mépris] couille mole !

L’homme

            [à l’épouvantail] « Ils vont nous fusiller ! »

L’épouvantail

            [à l’homme] « Possible ! »

La marionnette

            [après une pause] Lorsque l’avion commence sa descente vers l’aéroport de Bucarest, Zoé, assise à côté de lui, met sa main sur la sienne. Deux secondes, pas plus. Histoire de lui dire au revoir. [pause] Ils atterrissent. Zoé se lève. Elle descend la première. Ensuite Iliescu et les autres.

L’homme

            Par réflexe, je reste derrière Iliescu. A raison ! Vers nous, entourée à distance par des gardes du corps, s’avance La Camarade. Les pointes des pattes dirigées vers l’intérieur. Elle marche sèchement. Elle n’a pas l’air d’être vraiment habituée à la station bipède. Elle sourit. La lumière de ses yeux, forte, brûle. Semblable à la peur terrifiante. Semblable à l’impulsion épouvantable de déchirer, de hacher tout ce qui bouge.

 L’épouvantail

            [après une pause] Et puis, tu as été invité par la Securitate... Ce n’a pas été trop pénible, n’est pas ? C’était même pas au siège. C’était dans un café, le plus cousu de Bucarest... C’est bien ça, n’est pas ? Tout est civilisé. Où sont-elles les enquêtes de la Tchéka et du Guépéou ? Où sont-ils les camps sibériens ? - ...En fait... Il voulait que tu saches seulement qu’ils veillent sur toi, les ombrageux. Et, en plus, tu étais déjà, au fond de toi même, dans la réalité de la vérité, avec eux. Sois sincère ! Avec ta Zoé, avec ton UJC... Pourquoi pas, donc, aussi avec eux, avec la Securitate ? Directement, nettement !?

L’homme

            Pourquoi ? Manque de couilles. [en indiquant la marionnette] Comme dit celle-ci toujours. Voilà pourquoi. Je n’étais qu’un pauv’ intello capable de quelques demi-idées - et encore! - et des petites péchés salopins, des petites saloperies...

L’épouvantail

            [rire] ...incapable, donc, de demander un G.P.U. universel, astral, divin...

L’homme

            [rire] Certainement pas ! Je n’étais qu’un petit dépotoir, quoi. Pas plus que ça. Un petit dépotoir assez ineffable, supportable, parfois même sympathique. Pas plus... Voilà pourquoi !

[Long silence]

L’épouvantail

            Encore quelques jours et Zoé t’appelle. Elle est à Bucarest, au centre ville. Tu lui manques. Pourrais-tu sortir la rejoindre ?

L’homme

            Une heure plus tard...

L’épouvantail

            ...entre la Statue des Aviateurs - avec le Cé-i-pé-él-e-a immortalisé sur sa grande plaque commémorative en bronze - et la Place des Aviateurs, jadis Place Staline, qui allait changer plusieurs fois de nom - dans et lors de ton passé - avant de devenir au dernier en date, Place Charles De Gaulle; c’était vers la fin du mois de mai, dans ton passé de personnage anonyme, de masse, de masso-personnage...

L’homme

            ...je suis avec elle. Zoé tient dans sa main quelques ballons gonflés à l’hydrogène. Elle me les tend. Elle se fait une « queue de cheval »; elle me demande d’attacher les ballons à la queue. - « Qu’est-ce qu’il y a ? » dit-elle en apercevant ma réticence. « Regarde un peu autour », je dis. « Eh bien, qu’est-ce qu’il y a autour ? fait-elle nerveusement. Des crétins et des crétins ! ». « Mbé ! » fais-je. Je ne peux pas lui parler de la Securitate... De Shakespeare, non  plus... [rire] Ou de Giordano Bruno et du Grand Condé..., d’Electre et de non-Electre... Et qu’est-ce qu’il nous reste, sinon ?... [en se reprenant] Zoé agite, ennuyée, nerveuse, sa main. Elle attache toute seule les ballons à sa queue de cheval. Elle part vers l’Arc de Triomphe. Je la suis. Sans enthousiasme. Ils sont amusants, ses agissements. Mais ils ne vont pas avec ce monde. Avec ce monde d’ici. Avec notre monde ! - Au bout de cinq minutes, elle détache les ballons et les libère. Elle - libre, étrangère, pas d’ici, pas du coin - regarde avec regret mais aussi ironiquement, comment ils prennent de la hauteur. [au public] Aujourd’hui, vu ce que j’ai vu à la télé, je me dis que Zoé ne peut être que virtuelle ! Certainement ! Virtuelle... Sinon morte... [pause] C’est quoi, le vrai ? Mais le virtuel ? Ou la mort !?... Ou la Révolution ?... Dépotoirs, tel que nous sommes... Tous. Tous. [la lumière faiblit ; dans le noir – la voix de l’homme] Je l’appelle après deux, trois jours. « Comment ça va ? » « Mal. Habibi est mort. » « Comment ça ? » « Ils me l’ont empoisonné. »

Le porteur de pancartes

[traverse la scène dans un spot de lumière. Sa pancarte : ILS. Il sort. Le noir s’installe bien pour quelques moments.]

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16 avril 2009 4 16 /04 /avril /2009 14:58

 

6

 

La marionnette

            Le lendemain, vers onze heures, une meute de tronches inconnues. Des membres du Politbureau. Ils vont tous les accompagner chez Kim Il Sung, qui recevra les amis roumains pour un déjeuner très amical et très restreint.

 

L’homme

            Parmi eux, la camarade Ô. La camarade Ô éclate en larmes. [l’épouvantail - mime-singe la camarade Ô] Qu’est-ce qui lui arrive ? je demande. – Dame !, bah !, un compositeur un peu toqué, voyons !, qui peut se permettre de telles questions indélicates ! - Vous allez voir le camarade Kim Il Sung, on me, on nous répond, et la camarade Ô en est très émue, en est très contente - pour nous ! et, comme ça, en général ! -, très... touchée...

 

L’épouvantail

            [mime-singe encore un peu en silence...]

 

La marionnette

            Kim Il Sung fait son apparition. C’est l’homme à la bouffissure. La bouffissure du Commandant Unique déborde, au dos de la nuque, du col boutonné de sa tunique gris-fer. Elle est grosse, c’est vrai. La bouffissure, c’est à dire, de l’Excellent Leader. - Il sourit de toute la figure. Il serre avec beaucoup, beaucoup de chaleur et de hauteur parentale la main de Zoé. Un peu moins, celle de Iliescu. Et, stop ! Les autres, néant, n’existent même pas.- Ils pénètrent ensuite, en formation très restreinte - le Politbureau reste dehors - dans la salle à manger où c’est la femme de Kim Il Sung qui vient au devant d’eux. De nouveau un large sourire. La femme de Kim Il Sung serre la main de Zoé. Les autres, re-néant. La pièce est aveugle, sans fenêtres. Un bunker. Et tant pis pour les claustrophobes !... La lumière est agréable. La climatisation fonctionne bien. - Ils s’assoient autour d’une table ronde dont un quart est réservé au Leader et, assez approximativement, à sa femme.

 

L’épouvantail

            [à l’homme] Enfin, à ce que l’on vous a présenté comme étant sa femme. [rire] Sa femme approximative ? C’est pas comme en Roumanie, [rire] avec la... dictatoriale, hein ?!

 

L’homme

            [rire complice, sarcastique] Elle aurait pris un autre quart de la table, si ce n’aurait pas été une bonne moitié, ou, pourquoi pas ?, l’intégralité !

 

Le porteur de pancartes

            [traverse la scène en pas d’oie, avec deux pancartes : CEAUSESCU - KIM IL SUNG]

 

La marionnette

            Kim Il Sung commence à parler. Zoé répond. Ensuite, l’homme à la bouffissure parle tout seul. A un moment donné c’est Iliescu qui parle. Puis, de nouveau, l’homme à la bouffissure. Tout seul. - Ensuite, photo de groupe. Tout le monde se tiendra figé, sur les marches du perron. Ils trouveront les journaux avec les articles concernant leur visite, ainsi que quelques photos non-publiées dans des enveloppes individuelles, dans l’avion personnel que Kim Il Sung mettra à leur disposition, jusqu’à Pékin...

 

L’homme

Le soir, avant de s’envoler pour Pékin, dans l’appartement de Zoé, Zoé, Iliescu et moi. – « Et quid de la camarade Ô ? » je pose réthoriquement la question, tout en regardant - comme dans les films occidentaux - le whisky qui tangue dans le verre que je tiens dans ma main. Zoé, de dos, cherchant je ne sais quoi sur un petit guéridon, éclate d’un rire qui la secoue. Iliescu, assis sur un canapé aux coussins fleuris et douillets, a une réaction semblable à un hoquet retenu. « Qu’avez vous avec cette bonne femme ? » dit-il avec un humour sec, fou. Zoé rit aux éclats. Elle se tourne vers nous. Ses cheveux longs lui tombent sur les joues, moelleux. La jeune femme, à l’ossature un peu trop forte, mais souple, rit sans se faire de soucis, de très bonne humeur, déverrouillée. J’essaie de me retenir. Mais je ne peux pas. Je commence à rire. Moi aussi. - Zoé lève ses mains... Irrésistible. Les paumes vers le haut... Interrogative... C’est à dire: effectivement, qu’est-ce qu’elle pouvait bien devenir la camarade Ô ? - Iliescu ne résiste plus. Lui non plus. Il commence à rire. Il se lève et quitte la pièce. En riant.

 

L’épouvantail

            [au public] Ne trouves-tu pas délicieuse l’idée qu’un certain latino-balkanique, sujet d’un Président Génie des Carpates, qui a embrassé sur l’aéroport de Pyongyang une petite Coréenne sale et haineuse, qui ne voulait pas, elle, être embrassée, nous fait part d’une autre « Histoire d’Ô » que celle « mondialement » connue, notamment de « l’Histoire de la Camarade Ô » ? [à l’homme, complice] Un crapaud qui pleure parce qu’on parvient à voir le Grand Leader - grand ami, sans doute, de ton Génie balkano-latin... - en ses chairs, bouffissure et os!... Les mutations dues à Tchernobyl ne sont rien du tout par rapport à la bien mal formée camarade Ô qui a pleuré en face de toi... Par rapport à Zoé ! A Iliescu ! A toi-même !... - ...Vous la trouviez drôle, la camarade Ô ! Vous ! – Délicieux ! N’est pas ?

[Noir soudain. Brusquement, la boucle sonore - à une forte intensité. Les lumières balayent les photos et les objets accrochés aux murs de la scène et de la sale. Apocalypse... - Le vacarme s’arrête soudainement, en pleine lumière.]

 

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18 février 2009 3 18 /02 /février /2009 15:03

Avant propos

 

L’Atlantide aurait, occupé l’espace atlantique.

Ce qui compte, c’est l’espace transatlantique ----------- aujourd’hui. L’autre n’est que du reste ----------- un océan. Un rien, disons.

- Disons.

Ce qui se passe d’un côté et de l’autre de ce reste, de ce rien, de cet océan, ne passe pas inaperçu.

- Y a pas raison.

Justement. ----------- Autant effrayant que ce soit, y a pas raison. ----------- La raison n’a rien a y faire. Elle n’a pas raison d’y être. ----------- Autant.

Même plus. ----------- Même. ----------- Plus.

 

 

Espace transatlantique

- et un peu au-delà de -

 

Chère Monica,

Combien d’années se sont écoulées depuis ma dernière lettre ? Dix, onze, douze ? ----------- Cents ?

- Mille !

Soit ! Mille s’il le faut ! En tout cas, il a tellement de choses qui se sont passées, que mille ou dix mille ans ne me paraissaient pas « trop beaucoup ».

Je compte sur ta compréhension, sur ton amitié.

- Sur ton pardon.

Bon. Je commence. Par où ? Par où je peux. Et pourquoi pas par la crise des missiles cubains ? L’image me parait significative. Nous, les petites, une trentaine, agenouillées pendant la nuit, priant le Seigneur de ne pas laisser « venir » la guerre.

- Il faisait froid, il faisait presque noir...

Quelques ampoules jaunes, sombres éclairaient notre dortoir. En chemises de nuits, à poitrine plate ou à peine bourgeonnée, nous regardions le ciel (le plafond !) en murmurant des mots dépourvus de tout pouvoir. Preuve maximale : je priais non pas contre, mais pour la guerre. Et pour cause, les bonnes soeurs nous avaient dit que, en cas de guerre, nous rentrerions chez nous...

- Il ne m’a pas écoute, Dieu, lui.

Mon désir de guerre n’a pas été exaucé. ----------- Je jette en hâte des mots sur le papier. ----------- Avec du mâchefer et de la scorie dedans. Avec pas mal de gravats. Aussi. Aussi. Aussi.

Ma chère Monica, ma vie a basculé et je m’y retrouve difficilement. Cette lettre est due à une sorte de réflexe oublié, couvert, enterré sous les décombres du temps versé, perdu, échoué en nous, mais qui se voit réactivé soudainement, pour témoigner de l’unité de l’être que je suis, de l’être que nous sommes. ----------- Qui pourrait nous séparer, une fois intriquées dans nos mémoires (ou par elles ?) ? ----------- On ne peut pas se débarrasser de son passé. Il est comme prédestiné. ----------- De son avenir non plus.

- Pour ne pas parler de son présent !

Je reprends le contacte avec toi tout simplement, comme s’il n’y avait pas une vie entière écoulée depuis notre enfance.

- Depuis notre séjour chez les bonnes soeurs.

Comme si nous étions toujours là ----------- dans le dortoir austère, froid, dépersonnalisant ----------- en train de prier pour que la guerre n’arrive pas ----------- pour que les méchants Soviétiques soient empêchés d’installer leurs saloperies au Cuba ----------- pour que nos bons alliés, les Américains, ne soient pas obligés de bombarder le Cuba, l’Union Soviétique et ainsi de suite ----------- et pour que nous autres, les Brésiliens, poussions vivre en paix ----------- au sein de tout le monde...

Chose valable pour vous autres, comme je disais, mais par pour moi.

- Moi, je voulais la guerre.

Je voulais rentrer chez moi, chez nous... ----------- Chez rien du tout, chez nulle part ! (Les miens, en proie à une très difficile et, je crois, jamais achevée séparation, avaient trouvé que le couvent était la solution autant pour leur fille – moi –, que pour eux-mêmes !...)

…Où voulais-je, donc, retourner ? Dans mon enfance. Voilà où ! – Avec l’espoir d’y trouver la paix. ----------- Dans cet espoir.

Aujourd’hui, pourtant, suite à une longue analyse que j’ai faite ici, à Paris, je suis en mesure de dire que l’on m’a privé d’enfance. À l’heure de notre rencontre chez les bonnes sœurs, j’étais une gamine sans enfance, déjà. Une fillette estropiée. Une estropiée, tout court. ----------- Une castrée ; d’une certaine façon (ce qui pourrait expliquer pourquoi aucun enfant n’a pas trouvé bon, n’a pas voulu venir se blottir dans mon ventre – dans mon être). -----------Voilà ce que j’étais à l’époque.

- Toi aussi, tu avais droit, comme moi, aux délices de l’internat ----------- à l’époque.

On découvrait son sexe, à l’époque. On parlait tant de bêtises chuchotées ! Avec tellement de joie secrète de ceux – celles ! – qui (s’) échappent à la surveillance (désagréable et nuisible ----------- des soeurs et des mères).

Sauf que moi, ça, la pension, m’a brisée, m’a fracturée. Je suis sortie de là infirme. Toi, tu es restée moins de temps chez les bonnes soeurs. Combien ? Un an ? Deux ? Pas plus de deux, je crois. Tandis que moi !... J’y fus immergée pas moins de six ans...

- Ensemble, nous jouâmes au docteur et au touche-pipi.

Normal, je me dis. Te souviens-tu ?... On devait se laver à côté du lit, dans le bassin personnel, mais à la vue de tous... Avec l’ordre formel de se couvrir.

- Pour être vue le moins possible.

Ne pas regarder ailleurs, vers les autres. Ni ailleurs, vers soi même. Nous avion le choix restant : regarder vers le mur d’en face, ou vers le plafond. Le corps, que Dieu même, dans sa bonté infinie, nous avait donné, était non seulement imparfait, mais mauvais. Il était défendu de le regarder ! Le résultat, on le connaît. Touche-pipi. Examen plus qu’approfondi, ensuite. Plaisir, même !

Quelques mois avant de quitter, à mon tour, le couvent, j’étais parvenue à une phase plus complexe de l’existence. Je me cachais toujours dans la prière; mais, cette fois ce n’était pas pour que la guerre arrive, mais pour que mes règles n’arrivent pas. Si une fille, le jour où les règles pouvaient se déclencher, ne prenait pas garde de se munir de son pansement hygiénique, elle n’avait pas le droit d’aller chercher de la ouate, en haut, dans le dortoir, et était obligée de rester comme ça, salie, toute la journée ; si, par malheur, le bon Dieu, présent toujours dans les prières, avait décidé que ces maudites règles allaient se déclencher une fois la journée commencée, disons à dix heures du matin. Et moi, je priais le bon Dieu, moi, qu’elles n’arrivent pas, mes règles à moi ! Les règles !

- Je dirais que, inconsciemment, je voulais être pre-stérile ----------- aujourd’hui.

Tout ça, chère Monica, pour te dire que j’avais une sensibilité particulière à l’égard de tout ce qui est enrégimentement, attroupement, annihilation de la personnalité et de la personne et ainsi de suite.

Lorsque je mouillai l’ancre en Europe, je pus mesurer encore mieux la profondeur de l’espace atlantique qui sépare nos deux civilisations.

- Une vraie fosse.

La démocratie européenne, qui ressemble beaucoup à la paresse et à la lascivité (à tel point que je me demande si elle n’était pas imposée, en réalité, par les Américains ----------- et maintenue par eu, maintenue ainsi ----------- avec le but de dompter les habitants -----------sauvages ----------- du Vieux Monde, coupables de deux guerres mondiales ;  à tel point que je me demande si elle n’était que subie, et non pas engendrée par eux, les européens), cette démocratie édulcorée m’a envoûtée plus que je ne le croyais possible. Ici, tu ne trouveras pas la sauvagerie du Carnaval. Ni celle des enfants-bandits et des leurs bourreaux ----------- les escadrons de la mort. Par contre, tu trouveras une certaine douceur de vivre, pimentée par les vestiges charmeurs, envoûtants, voire soûlants, d’une histoire aussi forte que petite. Ce n’est pas une blague, un paradoxe, un « intellion ». C’est la pure réalité. L’histoire méditerranéenne, dont celle européenne fait partie, c’est de l’histoire parce qu’elle est petite, donc « contenable », et forte aussi, donc percutante, pénétrante ----------- une balle de fusil et non pas un obus. -----------, donc transmissible, voire contagieuse, épidémique. J’irais jusqu’à dire que c’est la seule histoire. C’est l’Histoire même. Tout le reste n’est que du reste. Du reste qui s’y accroche, qui s’y greffe ; ----------- à l’histoire...

- J’arrive ainsi au coeur du sujet même de ma lettre.

Ma chère Monica, il y a quelqu’un dans ma vie.

- Enfin ! ----------- je dirais.

Quelqu’un de mûr, un peu plus âgé que moi. Quelqu’un de descriptible. Je veux dire : quelqu’un « muni » (ou « doté » – je ne sais pas bien) d’un passé. C’est un Albanais de Kosovo. Un homme de bonne volonté, comme disait l’autre. Quelqu’un de bien. Un intellectuel ----------- et pas si stupide que ses collègues d’ici. Il n’a pas sa place à CNRS, je veux dire. Certainement pas !  Et pour cause : on trouve dans son agencement des gouttes de folie et des cristaux d’irrationalité ; ----------- beaucoup de souffrance...

- Ça le rend libre.

Libre de ne pas vouloir vivre en Albanie, mais de rester lié à son peuple et à a sa culture (auxquels je ne comprends rien !). Libre de prendre comme épouse une Serbe. Libre de lutter contre le communisme. Libre de s’opposer toutefois au libéralisme déchaîné.

- Etc., etc..

Enver quitta Pristina lorsque l’OTAN commença à bombarder la Yougoslavie ----------- et les Serbes à chasser les Albanais hors du Kosovo.

Il vint à Paris, avec Mirjana, sa femme, avec leurs deux enfants et avec les familles des ceux derniers. Les enfants, avec leurs familles respectives, partirent bientôt l’un pour l’Allemagne, l’autre pour l’Afrique du Sud.

Quant à eux, ils s’avérèrent parfaitement intégrables, ici, en France. Tous les deux, je veux dire, les parents. Enver est parfaitement francophone. Sa femme aussi, elle était parfaitement francophone. – Elle est morte.

Ils rentrèrent à Pristina, une fois les Serbes chassés de Kosovo. (Leurs enfants et leurs familles, par contre, non. Signe bénéfique de jeunesse, je trouve !) Ils se disaient prêts à tout recommencer. Non pas par naïveté, mais par manque de pot.

- On ne peut même pas parler de ça.

Je veux dire : de chance – dans leur cas. Enver et Mirjana rentrèrent à Pristina pour qu’elle, Mirjana, y meure.

Enver revint ensuite, d’une manière absolument clandestine, en France. Après que Mirjana fut tuée. Tuée comment ? – On lui a mis des pétards dans la bouche et on les a fait exploser. Elle ne fut même pas violée. Elle fut seulement tuée par l’explosion de sa tête -----------des pétards qu’elle fut obligée de tenir dans sa bouche.

Je me trouve au bord de l’océan de l’incompréhensible. Déjà je ne comprends pas. J’écoute et j’entends ce que l’on me dit. Mais je ne peux pas comprendre. Je suis cristallisée. ----------- Morte. ----------- Je ne suis plus une jeune fille frêle, capable d’accepter les ordres des bonnes soeurs et de ne pas regarder son propre corps pendant qu’on fasse sa toilette. Ni de prier Dieu que les règles n’arrivent le jour où l’on a oublié sa ouate...

On ne sait pas qui a tué Mirjana. L’enquête ne donnera rien. Enver, convaincu de cette réalité, quitta le Kosovo toute de suite. Il ne s’y retrouvait plus. Qui a tué sa femme ? Des Albanais, car elle était Serbe ? Des Serbes, car elle était mariée à un Albanais ? Qui ? Pourquoi ?

- C’est ce qu’on sait c’est comment.

Je ne dirais pas qu’il est devenu fou. Il ne l’est pas. Il est assommé; seulement. Il a reçu le choc de l’incompréhensible. Il ne peut pas comprendre. Et je dois reconnaître que l’on ne peut pas comprendre. Comment comprendre ? Des pétards dans la bouche ! La mort ! L’interdiction d’aller chercher sa ouate ! L’interdiction de se regarder soi-même ! Comment comprendre ? Qu’est-ce que je dois faire à l’intérieur de moi-même pour parvenir à comprendre ? Quelle (auto ?) mutilation dois-je (y) opérer pour pouvoir comprendre ?...

Tu vois, ma chère Monica, la distance mise entre nous par l’Atlantique, la distance transatlantique, n’est pas si creuse, profonde, vaste, réelle que ça. Je formule ainsi le contraire du postulat par lequel j’ai commencé ma lettre. C’est vrai. J’assume. Je n’y suis pour rien.

- J’ai couché avec Enver et je suis enceinte de lui.

 

                                                                                                         Alexandra

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15 février 2009 7 15 /02 /février /2009 16:51

Avant propos

 

Les questions idiotes devraient être jugées. À la Cour d’assises. ----------- Comme des crimes.

- Condamnées comme des affreux criminels !

Elles tuent tout en étant aussi légitimes que toutes les autres. ----------- Qui, elles, reposent sur l’intelligence ayant découvert – ou inventé – l’inconnu. Autant crétine qu’elle soit, face à l’inconnu, la question, quoi qu’elle soit, devient « explicable ». Même la plus incongrue, puant la stupidité (assortie ou pas par de l’hystérie ----------- méchanceté ----------- haine ----------- …), qui ne tient que du bon vouloir (tout aussi schopenhauerien et inexplicable que sa camarade tout aussi schopenhauerienne et inexplicable, la représentation).

- Même cela.

L’inconnu ne serait-il lui même l’écume même de la stupidité ?

Quoi qu’il en soit, la question reste confinée dans domaine réservée à l’humain qui, lui, croit avoir affaire à l’inconnu (tandis qu’en réalité il ne fait que souffrir d’une certaine léthargie de la compréhension ----------- manifestée, justement, par le croire).

- On ne comprend que ce qu’on peut comprendre ou, plus exactement, ce qu’on sait déjà.

- Ce qu’on croit. ----------- Ce qu’ ----------- on !

- Aucune question n’est posée à l’inconnu par l’existence, qui, elle, ne connaît pas d’inconnu ; même lorsqu’il s’agit de l’inexistence.

- L’existence n’interroge pas. Au mieux, elle affirme ----------- mais le plus souvent, elle impose. Chose valable même pour l’inexistence, dont l’immanence ne constitue nullement des impedimenta pour l’existence de l’affirmer ----------- imposer.

- Sans aucune question préliminaire ----------- ni ultérieure.

Cela étant, comme disait un moraliste français un peu et injustifié oublié aujourd’hui, « folie ou bêtise, quelle différence ? » (ou : folie et bêtise, même combat !).

Alors, si ce qui vient d’être dit était vrai – et pourquoi n’en serait-il pas ? – les questions visant la haine et, tant qu’on y est, la violence qui va avec, ces questions, donc, relèveraient-elles du même univers inconnu qui légitime toutes les autres questions ----------- censées ou stupides ? ----------- Malin celui qui oserait y répondre !

- Si ce n’est pas clair, lisons ce qui suit. – Même si ça ce sert à rien.

- Même si !

- Si !

- Ou ----------- si !

 

 

Un aîné

- il n’y pas des questions, ni d’autres explications -

 

 

 

Pourquoi ? Tu veux savoir pourquoi ?

- Parce que !

Voilà pourquoi ! ----------- Parce que – voilà pourquoi !

- C’est tout ?

T’es malin, toi ! ----------- Et toi, non ? ----------- Pas moins que super. ----------- Plus extra, tu meurs !

- Conard !

Ben, oui !... Casser la gueule ! Des gueules ! Aux arabes, aux noirs et tout ! Parce que vous, vous étiez pas des pédés, vous ?!

- Pédés !

Vous êtes au moins tout aussi enculés qu’eux ! Oui ! ----------- Même plus !

- C’est moi qui te le dis !

Et tiens ! Prends ça !

Parce que c’est comme ça, et pas autrement.

- Pour l’éternité !

- Imbécile !

- Pour l’éternité ! ----------- C’est moi qui te le dis ! ----------- Oui ! C’est c’la ! -----------Ton frangin ! Tu vois ça, l’éternité ?... Tu crois que je ne suis pas passé par là ? Et comment encore ! Je me suis fait tabasser rue Vieille du Temple ! Y avait que des pédés. Des phoques ! Partout. Plus que des youpins. Ça, oui ! Ça, je comprends ! Ils m’ont eu, les salauds ! J’étais par terre, et ils me prenaient aux pieds. C’était parce que j’avais dit à deux qui s’emmêlaient les langues qu’ils n’étaient que des enculés.

- Des sales pédés, quoi !

Et, pan, plein la gueule, et poum, plein l’estomac. Ils m’ont roulé, quoi ! C’est qui, eux ? Qu’ils s’enculent l’un l’autre, ils n’ont qu’à ! Mais c’est qui ----------- eux ? Hein ?

- Merde !

Les arabes, les négros ! Des conneries ! Ça n’a pas de sens ! Pour c’qui concerne les pédés, ça, oui ! Et les gouines ! Racle bien une truie péteuse de cette espèce, et t’auras du foutre partout. C’est astral, quoi !

- C’est ni les arabes, ni les corneilles qui...

- C’est que des pétés tout ça !

- C’est quoi un arabe, une corneille ? ----------- Ma bite ! ----------- Tandis qu’un enculé !... ----------- Et qu’on leurs donne du PACS. Pour qu’ils se le mettent directement dans le cul ! Et puis quoi encore ? Peut-être une prime, tant qu’on y est ?

- Une prime d’enculage ?

Ça, oui, habibi ! Ça !...  Et comme je te dis, si tu peux articuler une meuf, une saphe ----------- he he he ----------- y de la lecture ici, dans le céphal, dans la migraine ----------- tu bandes et tu craches.

- Partout. De partout. ----------- Et tout.

Ensuite, tu la sautes ! C’est quelque chose ! Le pied ! ----------- T’es quelqu’un.

- C’est tellement fort, que tu deviens quelqu’un.

- Capisci ? ----------- Quelqu’un ! ----------- Comprendi ? ----------- Mais, toi, non ! Toi, t’es encore endormi, toi.

T’es loin d’être réveillé. Et lorsque tu vas t’écarquiller les fanaux, tu vas te rendre compte que tout ça n’a laissé aucune trace ----------- vive en toi.

- C’est stelaire !

Rien d’ici, de terrestre. ----------- Y a simplement un lit sec ----------- une ride ----------- et tout ça ----------- et rien. C’est pas ça.

- Je te le promets.

Si t’as la rage, t’es quelqu’un. En plus, t’es bien, t’es super. Et tout ça. Et la haine, et la rage, et tout. Tu te laisses pas emmerder ! Tu laisses pas l’ennui venir. C’est le pire, je te le jure.

- Le pirissime, quoi !

Après l’ennui, il n’y a rien. ----------- Capisci ? ----------- Rien. ----------- Comprendi ? ----------- Il faut que t’assimiles, que t’intègres, que tu digères tout ça ! ----------- Et que tu ne chies pas !

- Voilà !

À toi, maintenant ! Et ne me regardes plus comme ça, conard ! Frangin ou pas, je suis plus âgé que toi. ----------- Et plus fort !

- Alors?...

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11 février 2009 3 11 /02 /février /2009 11:50

Avant propos

Ce qui suit c’est l’histoire d’une sœur et d’un frère confrontés aux caprices de la nouvelle génération : fille du premier, nièce de la seconde. Ce sont de caprices ou des hésitations qui, en temps normaux, n’intéresseraient personne. À La rigueur, le mari de la jeune fille ; ou ses enfants. – Absentes et l’un et les autres. Elle était célibataire et sans enfants. Comme beaucoup d’autres de sa génération ; pour ne pas parler des générations à venir. Ils ne devraient intéresser ainsi ni l’éventuel lecteur de ces lignes, assujetti au voyeurisme (généralement humain) fruste et brutal de la pornographie, de l’imaginaire déchaîné (cosmique ou nanométrique ou génétique ou écologique ----------- et métaphysique) de la violence ketchup ou vraiment sanguinaire ou psycho-psychiatrique ou…

Pourtant, ce n’est pas comme ça que ça se passe. Comme preuve, Tchekhov est lu, relu (et abîmé chaque fois par l’esprit (du ?) lecteur, sans que l’auteur s’en formalise ----------- ce qui est loin d’être le cas du lecteur).

Tout ça pour dire qu’il s’agit d’un des ces moments privilégiés où on se dit qu’il faut donner à Cesare ce qui est à Cesare, à Tchekhov ce qui est à Tchekhov, et le reste à l’inanité de ce qui reste.

        

 

Filasses de fumée

- un certain souffle tchekhovien -

   

            Jean-François regarda Michèle. Celle-ci grattait avec son ongle une tache de fiente sèche sur la table ronde, en plastique vert foncé.

- Il y a quand même quelqu’un ! Pour nous gouverner tout ça !

Le frère et la soeur, la cinquantaine soignée, étaient assis dans leurs fauteuils de jardin confectionnés du même plastique vert foncé que la table. Sur la table, deux bouteilles de Bourgogne, dont une vide, deux pots de moutarde convertis en verres, un plateau en osier avec quelques morceaux de fromage, un panier en pailles pour le pain, un cendrier où les mégots blancs, de Jean-François, faisaient ménage avec les jaunes de Michèle, un briquet blanc.

- Tu vois ?

Jean-François leva son bras vers l’arborescence ombrageuse du tilleul d’au-dessus de leurs têtes. L’énorme couronne bourdonnait à plein régime. Les abeilles, invisibles, étaient bien là.

- Ça, continua-t-il, je peux comprendre – ça ! Du moins, partiellement… Je ne sais pas si ce sont les mêmes. Mais, peu importe. Les mêmes ou pas, elles viennent chaque année. Elles obéissent à l’ordre qui leur est donné, d’envahir la couronne et de sucer le nectaire des fleurs, de s’en gaver, de s’enivrer.

- Et de faciliter la fécondation végétale, dit Michèle avec une onde d’ironie dans sa voix.

- Et de faciliter la fécondation végétale, acquiesça Jean-François avec un sourire, en baissant le bras. Certes ! D’autant plus faudrait-il alors se poser des questions sur ! Obéissent-elles à une injonction de type ordre ou de type besoin ? Mais, autant dans un cas que dans l’autre, il y a toujours quelqu’un qui décide. En même temps, si tu les regardes bien, elles ont l’air de se saouler – en travaillant. Je sens ça. Je comprends ça. Elles s’embaument en travaillant. Et puis elles partent...

Il pris la bouteille et remplit les verres tout en continuant :

- Comment savent-elles agir de cette façon précisément ? ----------- Et pourquoi pas d’une autre ? ----------- Comment font-elles pour ne pas se concasser l’une l’autre, pour ne pas se piétiner – sur la même fleur ? ----------- Sauraient-elles qu’elles bourdonnent autour d’une fleur ? Sur une fleur ? ----------- Comment voient-elles la fleur ? C’est quoi pour elles … la fleur ?

Il mit la bouteille sur la table.

- Pour ne pas parler de ce qu’elles savaient les unes au sujet des autres, et de ce qu’elles savaient sur nous ! -----------  Si elles savaient quelque chose – tout court ! -----------  Et la communication ? C’est quoi la communication, la leur, du battement d’ailes ----------- du bourdonnement?...

La réponse silencieuse de Michèle : un petit mouvement de la tête et une sourcil légèrement haussée : de la condescendance amusée (pour l’exposé), du respect plus sérieux, un peu soumis ou grave (pour le problème soulevé). Elle grattait toujours la tache blanche de guano sur la table verte. 

Jean-François leva le verre – toast – et pris une gorgée de vin. ----------- Ensuite :

- Mais, enfin !, voyons !, c’est pareil chaque année. Et ça, je peux comprendre ça. L’éternel retour. C’est quelque chose qui m’est de plus en plus familière. -----------  Avec l’âge. ----------- À force de répétition.

La couronne du tilleul bourdonnait monotonement.

Ce fut le tour de Michèle de reprendre.

- Tu sais, dit-elle, la liberté même… Je crois que la liberté peut devenir une forme de gouvernance. ----------- C’est ce qui se passe. ----------- Exactement. À mon avis.

La femme arrêta de gratter la tache de guano et dévisagea son frère en attendant une réponse.

Le regard de celui-ci était humide, peut-être triste, ou seulement envahi par le vin. Ensuite :

- Si c’est le cas, la liberté n’est pas bonne. Ou, peut-être, s’agit-il de trop de liberté. Mais je ne crois pas que la liberté soit mise en cause. C’est plutôt autre chose. Peut-être le manque d’une mère... Il n’est pas exclu...

Silence. Bourdonnement.

Michèle sortit une cigarette jaune de son paquet et l’alluma.

- En fait, dit-elle en jetant deux filasses de fumée par les narines, une quenouille par la bouche, je la comprends. Elle a besoin d’un sujet pour sa tendresse. D’un objet de tendresse. D’un objet pour, pour la tendresse. C’est sa mère, bien sûr, qui lui manque. Toi aussi, tu lui manques. Tu es trop ours. Obtus même. Tu lui demandes de t’aider dans ta librairie. Bien sûr qu’elle sera sa libraire, à ta retraite... C’est naturel !... Mais peut-être qu’elle n’en veut pas. Peut-être qu’elle ne veut passer sa vie à servir des clients. Ça l’emmerde. Et, à vrai dire, c’est emmerdant. Il faut être toi, avec ton envie de jaser sur tout et avec n’importe qui, pour t’y sentir bien. Mais c’est pas son style. Il faut en être conscient ! Voilà, c’est pas son style !  Elle n’aime pas le commérage, le bavardage. Elle aime communiquer. C’est ça ! Communiquer ! Pas bourdonner ! Comme ces sottes-ci !

Michèle, apparemment irritée, leva à son tour le bras vers la couronne bourdonnante du tilleul.

- Pas comme ces sottes, je te dis ! Mais avec du sens ! Avec de la compréhension !...

Silence. Bourdonnement.

- Oui, toi, avec ta compréhension ! Ton éternelle compréhension ! gronda ensuite Jean-François. Je bavarde !... Bien sûr que si ! Comment faire, sinon ? comment faire autremment, hein ? On vit de quoi si je bavarde pas ?... Et c’est pas avec n’importe qui que je bavarde. C’est avec des gens qui veulent acheter des livres et non pas des chaussures, des saucisses ou de la marmelade. Des livres ! ----------- Je ne peux pas en écrire. Ni des livres. Ni d’autres choses. Ni rien. Je peux en vendre. Même du rien. Mais c’est pas mieux de vendre des livres ? ----------- Et tu vas pas me les casser avec ça ! Car moi aussi je peux dire... ----------- Enfin ! ----------- C’est pas ça. ----------- C’est qu’elle part dans une direction où je ne peux plus la suivre. Je ne la comprends pas. Elle n’est plus à moi. Elle est devenue une étrangère. Elle m’est étrangère. Elle ne communique plus ! Elle bourdonne ! Voilà ! C’est ça ! Elle bourdonne. Mais pour qui bourdonne-t-elle ? Pas pour moi ! ----------- Je ne la comprends plus. ----------- Moi. ----------- C’est quoi cette histoire du Rwanda ?... C’était quoi la prison, avant le Rwanda ?

Silence. Bourdonnement. Filasses de fumée.

- Je ne crois pas qu’elle ait été heureuse comme gardienne de prison, reprit Jean-François. Qui pourrait y être heureux ? Elle le reconnaît elle-même qu’elle ne se sentait pas plus... libre que toutes les salopes qu’elle gardait. J’ai eu même droit à des histoires extravagantes. Des folles, tu vois ? Toutes ! Du simple vol à l’étalage, à l’inceste terribles et au crime horrible. Des malheurs intégraux ! Des psychopathes, des putes profondes ! Tu vois ? Et tout ça – pour elle. Parce qu’elle a voulu – Dieu sait pourquoi – être matonne. ----------- Matonne, sinon rien !

Silence. Bourdonnement. Filasses de fumée.

- De la tendresse, dis-tu ? reprit Jean-François. Crois-tu qu’elle ait pu... aimer toute cette vermine-là…, qui pullule là-bas ? -----------  Mais, c’est qui, elle, Jésus Christ ? -----------  Ça lui a fait du bien, peut-être ? ----------- Tu parles ! Qui peut aimer tout ? ----------- Mon cul ! Tout ! ----------- Quand je pense à ce qu’elle a dû toucher, à quoi elle a dû se frotter ! -----------  C’est à gerber, quoi ! ----------- Me demander ensuite avoir encore de la tendresse pour elle – après tout ça ? Si Sandrine vivait encore, peut-être que les choses se seraient passées autrement.

Silence. Bourdonnement. Filasses de fumée.

- Qui sait, d’ailleurs, dit Michèle. Tu ne peux pas savoir. Je dirais même que tu te trompes. C’est pas ça. C’est seulement la liberté qu’elle cherche.

Michèle secoua la cendre de la cigarette dans le cendrier.

- Oui, la liberté, continua-t-elle. Tu sais, moi aussi, à son âge, j’ai été sur le point de fuguer. À vingt ans. À son âge, exactement. Maman, avec sa silhouette ----------- tu te rappelles ? ----------- toujours devant la fenêtre avec les rideaux fermés ----------- en attendent Dieu sait quoi. Un symbole, presque... Et papa, qui lui fourrait la main sous la jupe exactement quand elle apportait le bol de soupe à table et lorsqu’elle n’avait pas de main libre ----------- pour se défendre. Et... Tu sais que je les aie vue ? Je suis tombée sur eux et sur leur ahanements....

Michèle s’arrêta. Elle ne regardait pas son frère. Sur sa figure à la peau lisse, le nuage des souvenirs apportait une légère crispation.

Le silence s’installa pour quelques secondes – quelques dizaines – en dessous de la boule bourdonnante du tilleul.

Jean-François prit la bouteille et remplit son verre.

- Et ça t’a marquée ?

Il mit la bouteille sur la table.

- Je ne pourrais pas soutenir le contraire, répondit sa sœur... Enfin, voyons !

Elle leva son verre. Jean-François l’imita. ----------- Ils burent.

Silence. Bourdonnement. Fumée.

- C’est facile !

La voix de Jean-François, un peu rugueuse, trahissait l’agacement.

- Facile de dire : liberté. C’est quoi, la liberté ?! Son énervement ? Ses crises ?... Ses… hystéricales ? Car ce n’est que ça. ----------- C’est tout. ----------- Elle est nerveuse. Hystérique. Comme tous ses copains ! Ils s’excitent, les connards ! Ils n’arrivent pas à se trouver une place dans ce monde. Alors, ils prennent toutes les conneries pour de l’argent comptant. Des andouilles !...

Silence. Bourdonnement. Fumée.

- Nous aussi, non ?, nous avons pris..., dit Michèle. Notre soixante-huit !... C’était quoi notre soixante-huit sinon ça, de l’argent comptant irréel ? Et c’était quoi cette liberté sinon une vraie liberté ? Tu crois qu’avec une mère et un père tels que les nôtres, j’aurais eu le courage de prendre ma vie au sérieux ? Mais avec cette liberté, si. J’ai pu le faire. Et je l’ai fait.

Silence. Bourdonnement. Fumée.

- Ils la craignaient, eux, cette liberté. C’était quelque chose de presque irrationnel, de toute évidence. Elle leur faisait peur. Je veux dire, la liberté. Cette liberté. La nôtre. ----------- Sans elle, c’est certain, je n’aurais jamais eu le courage de leur faire savoir même pas que je fumais, et d’autant moins que je n’étais pas comme eux, que je n’étais ni coco, ni socialo, ni athée, mais que j’étais carrément de l’autre côté, que j’étais le contraire absolu : carrément chrétienne et très à droite.

Silence. Bourdonnement. Fumée.

- Malgré tout, je veux dire, en dépit de toute apparence, ils n’ont jamais avalé ça. Parce qu’ils n’ont jamais compris ce qui c’était. Ils ne pouvaient pas accepter que la gauche ne soit que pauvreté – ou démagogie.

- En fait, ils n’étaient pas tellement démagogues, se risqua Jean-François.

- Pauvres non plus, d’ailleurs. – Donc de gauche non plus. ----------- Ils étaient comme ils étaient ----------- non pas comme ils disaient être. Ils pouvait lutter plutôt contre que pour. ----------- C’est justement là que j’aie trouvé le point d’articulation avec eux. Moi aussi je pouvais être d’abord contre ! Le pour pouvait attendre. Lorsque je leur aie dit que leur gauche, dès qu’elle propose quelque chose, bonjour, l’aberration – ils se sont crispés.

Silence. Bourdonnement. Fumée.

- Encore que, plus humaine que leur gauche, tu meurs, se risqua de nouveau Jean-François.

Le regard de la femme devint coupant :

- Si ce n’est-ce, peut-être… le Jean-Françoisisme ?  Qu’est-ce que t’en pense ?

Silence. Bourdonnement. Fumée.

Michèle reprit :

- Mais il s’agissait peut-être – je me le dis encore aujourd’hui – seulement de pavées de bonne volonté… parsemée sur le chemin qui mène à l’Enfer !... Enfin ! Bref ! Ils l’ont bouclée. Silence radio. Ils n’ont eu rien à dire. Je veux dire, c’était mon Rwanda à moi. Tu comprends ?

Silence. Bourdonnement. Fumée.

- Ils étaient comme des volumes sans personnalité traversés par des énergies sans expression. J’ai l’impression que c’est comme ça qu’elle te regarde elle aussi, ta fille, aujourd’hui. J’en suis certaine même.

- Des volumes sans personnalité traversés par des énergies sans expression, répéta Jean-François.

- Oui. Des volumes sans personnalité traversés par des énergies sans expression. J’avais l’impression qu’ils cachaient des choses qui réclamaient à priori et justifiait à posteriori l’existence de la parole. Ça sonne prétentieux, je sais, mais c’est pas pour ça que ce soit moins vrai.

Silence. Bourdonnement. Fumée.

- Quant à eux, ils n’ont pas eu, eux, le courage de... de ne pas se résigner.  Ils...

Michèle s’interrompit.

Dans l’atmosphère planait une certaine tension.

Une histoire.

Une géographie.

Une préparation.

Rien d’explicite.

Le frère et la soeur se taisaient.

- Des volumes traversés par des énergies sans expression, dit Jean-François sur le tard, l’air pensif. Des choses qui réclament à priori et justifient à posteriori l’existence de la parole… Rwanda, librairie, Jean-Françoisisme, la gauche, valeurs humanitaires ----------- humanisme ----------- bourdonnement…

Silence. Bourdonnement. Filasses de fumée.

- C’est pas un peu fou tout ça ?

Silence. -----------

----------- Bourdonnement.

Filasses de fumée. -----------

 

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1 février 2009 7 01 /02 /février /2009 14:31

Avant propos

                Le chômage, quelle galère ! Quelles créatures infâmes, les chômeurs ! Des loosers ! Un monde où tout le monde serait au chômage, voilà l’Enfer. Si ce n’est-ce le monde qui secrète – ou excrète ? – le travail, qui soit l’Enfer ----------- le monde du travail.

- Quelle horreur, le travail !

La seule justification du travail consiste dans la satisfaction trouvée dans l’exploitation de l’autrui. Une exploitation indirecte. Satisfaisante indirectement. N’empêche, grâce à son travail, on peut jouir du travail de l’autre. ----------- En passant pas l’impersonnalité neutralisante (moralement blessante ----------- possédante) de l’argent. ----------- Mais pas assez, pas pleinement et, finalement, pas d’une manière satisfaisante.

- À la hauteur du propre travail, et pas plus.

Or, la grande satisfaction consiste dans le fait de profiter du travail de l’autrui ----------- sans contrepartie.

La contrepartie exclue l’exploitation et, du coup, la satisfaction.

Le travail n’est pas bon. Il est même dégradant. Même si on se laisse leurrer pas une certaine identification à l’Humanité, au Monde, et à la démocratie qui va avec ----------- si on veut que les exploités ne se rebellent pas et qu’ils ne secouent par trop le cocotier où on se sent tellement bien en tant qu’exploiteurs !...

Ce qui vient d’être dit n’a pas vraiment de rapport avec ce qui suit.

- L’avant propos, dans ce cas, pourrait n’être qu’un hors propos.

- Ou à peu près.

 

 

 

Un certain million

 

Le soleil sortit des nuages. La Seine perdit sa couleur de café au sable pour emprunter la nuance métallique que Jean Constantin appelait « atemporelle ». Il faisait beau.

- Il faisait presque chaud.

Le mois d’août ne s’était pas encore écoulé, ni fondu dans les brumes de l’automne. Le fleuve ressemblait au dos d’un dragon argenté traversé par des frissons.

- Là-bas, sous le Pont des Arts.

Sur le Pont des Arts, Jean Constantin se caressa la joue. Piquante.

- Il ne se rasait plus.

Une bonne barbe, voilà ce qui lui manquait. Ce qui lui conviendrait. Une bonne barbe, bien mariée à son nouveau statut social ! Il était maintenant un chômeur riche. Il avait réussi le coup de sa vie : il avait arraché cent cinquante mille euros d’indemnités à sa boîte. Un million de francs ! C’était le fruit d’une assez âpre négociation. Ils se sont séparés, sa boîte et lui, à l’amiable. On lui a signé un chèque de cent cinquante mille d’euros, un million – le million ! – de francs, et il est parti, armes et bagages.

- Vers rien.

Cent cinquante euros, qu’est-ce que c’est ? Rien ! Avec un million de francs on était riche autre fois. Lorsque le franc existait et circulait. ----------- Aujourd’hui, ça fait vieux, parler en francs, non ? ----------- Il allait toucher quand même des indemnités de l’ASSEDIC. Pour deux ans. En plus du million déjà encaissé !

- Le million qui emboîte la mort.

Voilà ! Jean Constantin avait décidé de se suicider, une fois le dernier sou dépensé. Encore faudrait-il arriver à ce dernier sou. Conformément à des lois incompréhensibles, l’argent appelle, crée, appelle, crée, appelle, crée, appelle..., l’argent. La vie...

- Quoi, la vie ? !

- Elle a quoi, la vie ? !

L’idée du suicide lui était venue justement à cause de cet argent, de ces cent cinquante mille euros – de ce million des francs encaissé. Tout ce qui pouvait se passer après avoir dégoté un million, n’était plus intéressant. C’était même ennuyeux. Ou insultant. Des gens qui possédaient plus d’un million ! Des millionnaires ! Eh ben, prout ! Ça sent pas bon.

- Des handicapés.

Ils le sont, sans doute. Non pas par leur million ou par leurs millions. Non. Mais par autre chose. De plus intime. De plus subtil. De plus inconsistant encore que l’état de la pauvreté ou celui de la misère. Saisissable, pour autant. À presque cinquante ans, Jean comptait deux mariages et un concubinage défaits, cinq enfants, dont trois mariés. Rien d’autre. Sa carrière : trente ans de bureau. Du mou. Du rien. Ses désirs : modestes. Ses besoins : presque nuls. Autre fois, l’énergie dont il disposait remplaçait avec un certain succès les vrais besoins et les désirs vrais ; aussi la joie, la nostalgie, l’envie, l’ennui..., etc.. Au moment où il avait commencé « la descente », vers quarante-sept, quarante-huit ans, il avait derrière lui un terrible panier de bêtises (pour remplir l’espace occupé et animé, chez d’autres, par la tendresse), ainsi qu’une grande quantité de grossièretés (en tant que remplaçantes de l’ironie nécessaire à toute vie qui se veut supportable). C’était ça qu’il eut constaté ou, ce qui revient au même, postulé.

- Il est terriblement troublant de voir comment un constat, donc un postulat, peut s’imposer d’une manière « objective » à plusieurs personnes en même temps.

- Même si, plus tard, il s’avère qu’on eut eu affaire à une... « erreur ».

C’était ça qu’il eut constaté lorsqu’il se fût laissé séduire par l’idée du « million suicidaire »... Là, autre fois, oui. Mais pas à présent. À présent il manquait de plus en plus d’énergie. Les lits des états d’esprit énumérés ci-dessus, étaient secs.

- C’est embêtant.

 Il n’y avait pas d’autre issue à cette situation, que la mort par glisse, avait songé Jean Constantin.

- Il faut se laisser glisser du sommet d’un million vers le creux du moins que rien.

- Ainsi, elle allait se passer d’une manière... appropriée, sa mort.

Créature civilisée, Jean considérait que la mort était, naturellement, de nature barbare, mais, naturellement, de nature inévitable. Sa fatalité pouvait être habillée, néanmoins, suivant l’envie du... propriétaire de la mort. Elle pouvait être intégrée dans les paramètres de ladite civilisation. En ce sens, un million faisait l’affaire, du point de vue de Jean. Surtout parce que, ainsi, il serait le premier à mettre en place – à sa place –, une vraie nouvelle méthode, une vraie nouvelle manière d’appréhender l’auto-responsabilisation, une vraie nouvelle manière d’auto-assumation. Il était, on dirait, content de lui même, Jean Constantin. Ou, du moins, pas mécontent. Il regardait le fleuve qui ressemblait de plus en plus au dos d’un dragon argenté traversé par des frissons.

Juste à côté de lui, assise en tailleur sur les planches du Pont des Arts, une jeune fille caressait les cordes de sa guitare. Elle était au bord du bonheur. Ou du malheur. Qui sait. Peut-être. La fille.

- Et quoi, la fille ?

- Elle a quoi, la fille ?

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