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  • : Alexandre Papilian
  • : Ne pas être seul dans la proximité de la création. - Partager ce qu'on peut partager pendant la lutte avec les ombres - pendant la danse avec. Personnalité(s) forte(s) et inconfondable(s), se faire intégrés dans des communautés riches en névrosées, bien intégrées dans le monde actuel.
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  • Alexandre Papilian
  • Ecrivain et journaliste franco-roumain. Le sarcasme dépasse de loin la tendresse qui,elle, reste un voeu créateur de nostalgie. Volilà !
  • Ecrivain et journaliste franco-roumain. Le sarcasme dépasse de loin la tendresse qui,elle, reste un voeu créateur de nostalgie. Volilà !

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8 juillet 2018 7 08 /07 /juillet /2018 06:12
 
 
                                        Platon ou plus
 
 
     Non, ce n'est pas une blague. Ce ne sont pas des blagues. Car il y en a deux.
     La première.
     Ancien cheminot, je suis à la retraite. Je profite pleinement de cette retraite. Ayant le transport SNCF gratuit, j'en fais bon usage. Je vais voir mes seize enfants – oui, seize, de mères différentes – répandus un peu partout dans l'hexagone. Une semaine, dix jours chez chacun d'entre eux, et l'affaire est dans le sac. Je leur suis utile. Soit comme bricoleur, soit comme baby-sitter. Quant à moi, je ne meurs pas d'ennui. C'est donnant-donnant, gagnant-gagnant.     
     (Ce n'est pas l'endroit pour parler pension alimentaire. Mais je vais vous dire pourtant qu'après le quatrième enfant, les mamans ont compris que mieux valait renoncer aux trois fois rien que j'aurais pu verser pour chacun des enfants, pour garder de bonnes relations avec leur père. Le résultat a été excellent. – Je viens de l'évoquer.)
     La seconde.
     Il s'agit des mots que le Commandeur Phillipaire a utilisés hier, à l'heure de l'apéro chez Giorgio (le nom du patron du Nautilus, notre bistro).
     « Tu n'as pas lu Platon, par hasard, hein ? » qu'il m'a dit.
« Tu me vois lire des trucs pareils ? que je lui ai répondu. Il paraît qu'il avait la grosse tête. Totalement et absolument. Mais c'est pas ma tasse de thé ».
     C'était après mon exposé peut-être un peu maladroit, mais plein de sens, je trouve, que je leur avais fait, au Commandeur, à Charlie Vaud et à Bobby Landouge quelques minutes auparavant.
    Ci-joint ce que j'ai dit.
     « Lorsque je rends visite à mes enfants, je suis amené à jouer le rôle du patriarche. Le rôle du sage. Surprenant, non ? Pourtant, je me sens à l'aise. Je trouve quoi leur dire. Mais aussi comment leur dire. Je ne le crois pas à moi-même. J'ai répandu seize enfants aux quatre coins de la France, mais je ne suis pas un simple reproducteur, un animal, une bête idiote, stupide. Je suis quelqu'un capable de dire des choses intelligentes qui laissent pensifs ceux qui m’en font la demande. Qui donne un sens et un contenu à la transmission du savoir parents-enfants.
     « Jusqu'ici, rien d'anormal. C'est normal que le père transmette à l'enfant ce qu'il sait. C'est normal que l'enfant l'écoute. (Même si, à partir d'un certain seuil, il trouve que le vieux est gaga...) Normal, donc... Pourtant, je sens que les choses m'échappent. Je ne contrôle plus ce que je leur dis. Je sens qu'il y a quelque chose ou quelqu'un à l'extérieur, qui sait pour moi et qui, de temps en temps, se donne la peine de me transmettre (m'injecter, m'infuser ?) non pas une idée (l'idée est tellement rare, je trouve – enfin, c'est lui, le transmetteur qui trouve ! – qu'on peut affirmer qu'elle n'existe même pas dans notre monde, ici, sous la lune, mais seulement dans l'univers d'avant le Big-Bang ou dans celui d'après l'Apocalypse ; ceci dit, il faut se fier au Big-Bang et à l'Apocalypse), non pas une idée, donc, mais un certain état d'esprit merveilleux, constructeur, créateur – qui fait du bien, donc, qui peut être non seulement bienfaisant, mais bénéfique.
     « Pourquoi ai-je le droit à ça ? Parce qu'on me considère malheureux ou parce que l'on veut que je transmette à mon tour et selon mes possibilités aux autres un état d'esprit bienfaisant, bénéfique ? Parce qu'on veut que je donne de mon miel (comme une abeille qui pense être capable de fabriquer du miel de l'âme et du savoir – après avoir avalé de l'âme et du savoir) ? »
     Et là, padaboum.
     « Tu n'as pas lu Platon, par hasard, hein ? »
     Ce n'est pas une blague. D'autant moins deux. Et d'autant moins encore une idée. À peine une histoire. « L'histoire des seize enfants de Platon » ou celle de « Platon et ses seize enfants ».
     - Ou plus.
 
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4 juillet 2018 3 04 /07 /juillet /2018 06:36
 
 
                        Elle est née les jambes croisées
 
     Il ne veut pas descendre. Il me tient sous lui. Il est toujours en érection, même s'il s'est entièrement vidé en moi. Je le serre, avec mes muscles vaginaux. J'aime bien le pomper ainsi, dans ma cavité naturelle. Elle est faite pour ça.
Les spermatozoïdes s'élancent vers mon utérus. Ils sont affolés. Désespérés. Ils nagent par milliers. Par millions. Par milliards.
     Je ne sais pas comment il fait pour pouvoir expulser en quelques secondes des milliards de têtards qui partent à l'assaut. Comment il fait pour avoir ces milliards. Pour les fabriquer en quelques dizaines de minutes après sa vidange.
Il est toujours sur moi. Il me protège. Il pèse presque cent kilos. Il est grand. Il est beau. Il est puissant. Sa bite ne veut pas se ramollir. Il bouge lentement, dans des va-et-vient mirifiques.
     La course des milliards de spermatozoïdes continue. Il y a presque la bagarre.
     Je sens descendre mes ovocytes. C'est très rapide. Même trop, j'ai peur. Ils n'ont plus de patience, les ovocytes. Ils veulent devenir des ovules.
     Les milliards sont laissés très en arrière. Seulement quelques dizaines arrivent à la frontière de mon utérus. C'est suffisant. Ils frappent dans la membrane de mon ovule. Ma membrane.
     Je sens l'unité qui me féconde. Le spermatozoïde me pénètre. Je l'avale. Je le broie. Je me l’approprie. Je le fais mien. Je le tue.
     Lui, de son côté fait irruption dans mon ovule, dans mon être intérieur. Il l'empoisonne et le tue.
     De tout ça, quelque chose de nouveau surgit du rien.
C'est notre résurrection, à lui et à moi. Avec sa tendre érection, il s'irrite encore dans mon vagin, lui. Moi, dans une tendre embrassade vaginale, je le pompe, le suce encore.
Et me voilà prête à commencer le travail qui m'incombe dorénavant. Je sens déjà sa petite âme palpitante. Son âme d'Effet. Comme je sens l'âme bourdonnante de l'autre. Son âme de Cause. Mais combien ? Combien de leurs âmes ? Combien de mon ressentir ? Combien de-leurs-âmes-mon-ressentir ?
     Le téléphone sonne. C'est Lucie. La pauvre ! Elle est née les jambes croisées. Son vagin reçoit rarement. Rarement autre chose que son doigt, disons. Elle n'est pas moche. Mais elle n'est pas trop baisable. Pâle et fanée, elle transpire froidement. Elle a des yeux gris et des petits seins. Le cou est long et tendineux vers osseux. Les doigts sont crochus, prématurément atteints d'une arthrose évolutive. L'absence de hanches et de fesses complète le portrait.
Les mecs n'y mettront jamais quelques chose en elle ; même pas leur parapluie. Même pas.
     Je vais lui raconter ma fécondation. Mon enfant. Ma maternité – déjà. Oui, déjà, ma maternité. Ça va lui faire mal. Beaucoup de mal. Et ça va me faire plaisir à moi. Beaucoup de plaisir.
 
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1 juillet 2018 7 01 /07 /juillet /2018 06:45
 
 
                                   L'idée et l'enfant
 
 
     Je viens d'apprendre qu'ils m'appellent « idée ». Plus encore, ils en parlent souvent au pluriel. D'idées, donc. Beaucoup d'idées. Une infinité. Ils disent que tout un chacun ou, pire encore, n'importe qui d'entre eux pourrait m'avoir, me trouver, me construire et que sais-je encore. Car chacun d'entre eux pourrait avoir, trouver, construire une idée. Ou que sais-je encore.
     Et non seulement ça, mais ils se disent capables de me passer de l'un à l'autre, de me transférer. Et cela sans trop de perte de contenu, sans trop de perte de sens.
     - Encore heureux qu'ils aient... l'idée... de contenu, et celle de sens.
     Encore !
     Ils disent aussi que les autres pourraient en faire autant avec les leurs.
     - Leurs idées, tiens !
     Et pourquoi pas une masse d'idées possédées, une masse de possédés et de possédées, masse assujettie à eux, relevant d'eux ?
     Eux, les intelligents ! Eux, les créateurs de tous et de toutes – de tout.
     Ils disent qu'ils peuvent croire en nous.
     - Enfin, chacun avec son idée en qui croire.
     C'est pas beau ça, camarades ? Leurs neurones ectoplasmiques – des créateurs ! Et puis quoi encore ? Eux-mêmes, peut-être, des créateurs à part entière ! Les créateurs qui nous ont créées ! Nos créateurs à nous ! Les nôtres. Ah ah ah. Voyez-moi ça !
     - Ce n'est pas méchant, pourtant, je le promets.
     Je dirais même que c'est gentil, doux, protecteur.
     S'ils regardaient de plus près, ils découvriraient que nous ne sommes pas créées. Rien ne peut nous créer.
Ça, ils ne pourraient pas supporter ça, la non-création ou, plus subtil, plus pervers encore, l'incréation. Ils fuient ces... idées. Ils se contentent de remarquer et de retenir que je me laisse simplement accepter. En poussant un peu, ils disent que je serais en mesure de me faire accepter (ou pas). Tout aussi simplement.
     Ils ne peuvent pas croire que je n'en ai pas besoin. Que je n'ai pas besoin d'eux. Ni pour exister ni pour inexister. Nous n'avons besoin de personne pour exister. Même entre nous, nous n'avons pas besoin l'une de l'autre pour exister. À peine pourrions-nous être comparées à des papillons. Vous voyez de quoi je parle ? Ils forment une sorte d'hélice volante connectée à rien, les papillons qui, d'habitude, volent par deux.
     En revanche, pour les receveurs, pour les receleurs, pour les transmetteurs d’idées corrects ou faussaires, pour eux, les idées sont vitales. Ils n'existent pas sans idées. C'est drôle ça, non ?
     - Quelle drôle d'idée, de ne pas pouvoir exister sans idées !
     Mais, enfin ! Ce qui compte à l'heure de ces lignes c'est que ça, tout ça, tous ceux-ci veulent faire et avoir des enfants. Ils remplacent les idées par des enfants. La plupart du temps.
     - Ils sont fous !
     Sinon, c'est nous, les idées, qui sommes folles. Folles et faibles.
     - Nous pouvons être remplacées par des enfants.
Il y en a même quelques-unes d'entre nous qui seraient plus qu'heureuses, épanouies, accomplies, de se faire remplacer ainsi. Ce sont des idées normales, comme toutes les autres. Des idées jamais créées.
     - Encore que, qui sait ?
 
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29 juin 2018 5 29 /06 /juin /2018 07:58
 
 
 
                         Mandat de protection future
 
 
     Je me suis réveillé dans le noir. Le bruit de la porte d'entrée avait été assez faible. Éloi est rentré seul. Il n'était pas défoncé. Il aurait passé une soirée paisible, peut-être. Ça m'a réveillé, pourtant.
     Il est tout ce qui me reste. Je m'accroche à lui. Le noyé et la paille. Sa paille.
     Ce n'est pas que je l'aimerais – ou que sais-je encore du genre. C'est qu'il est le seul qui puisse m'aider d'une manière convenable. Pas question d'amour, donc, dans cette situation de ma part. C'est la peur de mon impuissance.
     - Éloi ? !
     Le deuxième AVC, foudroyant, m'avait jeté dans quelque chose d'aveugle et de sourd. Lorsque je suis revenu « parmi nous », j'étais presque impotent « de toutes les couleurs ». En tout cas, je n'étais plus un « nous » normal. Et d'autant moins un « parmi ». J'étais un vieillard.
     Heureusement, j'avais pris mes dispositions. J'avais vu mon notaire, après mon premier accident cérébral, et j'ai lui ai demandé me faire un « Mandat de protection future » au bénéfice d'Éloi. Ainsi au mien.
     - Éloi ? !
     Si je tombais malade au point de ne plus pouvoir bouger, au point de ne plus pouvoir faire mes courses, de ne plus pouvoir gérer mes comptes, je donnais une sorte de procuration à mon petit-fils, Éloi, pour qu'il ait accès à mes comptes, pour qu'il gère les entrées et les sorties de mon argent..., de sorte qu'il puisse vivre, même si moi..., moi aussi – que je puisse vivre moi aussi...
     - Je veux rester à la maison, mon petit.
     Ça coûtera ce que ça coûtera. Je veux rester à la maison. Je veux mourir à la maison. Ce n'est pas que je voulais mourir. Ce n'était pas pour tout de suite. Pas encore.
Je crois savoir qu'on meurt bien uniquement quand on veut mourir.
     - Sinon, c'est la galère.
 
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27 juin 2018 3 27 /06 /juin /2018 08:05
 
   
                                  À rebours
 
     Tout le monde ne connaît pas la célèbre œuvre À rebours. Ni son pas moins célèbre auteur, Joris-Karl Huysmans.
(C'est ça « tout le monde ». Il ne connaît pas telle chose ou telle personne... Tant pis !)
     Je vais vous entretenir au sujet d'un rebours particulier. Même faux, peut-être. Il s'agit de la réalité particulière – niée en bloc et avec véhémence par les scientifiques, mais confirmée par le langage (sachant que ce que la langue supporte, peut et doit être non seulement possible et vrai, mais aussi réel) – concernant la fille qui est grosse de sa mère.
     (Pour la gent masculine, pas de danger. Pas de grossesse en vue. Pas de rebours de ce type. C'est comme ça les compagnons de nos vies. Ils ont tout pour eux.)
     Cette fille n’est autre que moi. D'où l’intérêt de l'histoire. Je n'ai pas l'habitude de raconter des galimatias sur les uns et sur les autres. Moi, ça me suffit. Je me suis suffisante. Autarcique, autrement dit. Je suis intéressante. En tout cas, je trouve.
     - Je justifie pleinement mon existence en tant que moi – de toute façon.
     Je n'ai pas été toujours comme ça, grosse de ma mère. Je dirais plutôt l'inverse. C'est elle, ma mère, qui fut, à un moment donné, grosse de moi.
     Mais ce n'est plus le cas.
     Aujourd'hui, les choses ont changé d'une manière plus que radicale.
     Au point que je n'aime plus, mais plus du tout, faire l'amour. Et quand on pense qu'il y a une période faste-faste-faste de ma vie où j'aimais non seulement faire l'amour, mais aussi la baise.
     Avant mon admission à Saint Anne1, ou pendant, où à la sortie, je ne me souviens plus, j'ai constaté que j'avais muté.  
Lorsqu'il a essayé de s'approprier mon corps, comme naguère, j'ai eu peur. Il me paraissait très-très inconnu, impossible à comprendre. Étranger ! Je ne pouvais pas le laisser me pénétrer et me féconder, me faire un enfant. S'il voulait faire, lui, un enfant, me suis-je dit, il n'avait qu'à. Mais pas à moi. Je n'avais rien en commun avec lui. Je me trouvais à l'extérieur. Lui aussi. Entre nous, il y avait une Éternité Glaciale. Et pas d'enfant. Et même si. Même s'il en résultait un enfant, ils finiront inéluctablement leur vie à l'extérieur de moi. Étrangers, géniteurs et héritiers, ils finiront leur vie, ils mourront là-bas, à l'extérieur. Non ! Je ne veux pas de cet impossible état fusionnel qui mélange mâle et enfant, dont j'ai tellement besoin – pour autant.
     Alors, adoptons la marche et le compte à rebours. Adoptons le concept de tædium vitae2.
     - Un des maux aristocratiques les plus exquis qu'il soit.
     - Il précède inexorablement le suicide.
     - D'où mon séjour à Sainte Anne.
     Il n'y a pas de suicide plus noble pour un être féminin maximal que celui inversé, quand la jeune femme est grosse de sa propre mère.
     - Tout court.
 
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24 juin 2018 7 24 /06 /juin /2018 06:12
 
 
 
                        Ma maman sur la moto
 
 
     Je suis méchant. Les copains me le disent de plus en plus souvent. Les profs aussi. Mon papa, pas moins. Sa mère aussi. Et pas mal d'autres encore.
     Ce n'est pas vrai. Je ne suis pas méchant. Je ne sais même pas ce que ça veut dire. Je ne coupe pas les vers de terre en deux, comme Florian ou Nono. Je n'arrache pas les ailes ou la tête des mouches, pour voir comment elles mettent du bordel dans leur vie.
     Je respecte les vieux. C'est à dire que je m'en fiche de leur existence. Et si j'en croise un, je l'évite, pour ne pas en avoir affaire à lui.
     Les filles peuvent être tranquilles. Je ne vais pas leur arracher les cheveux. Je ne vais pas leur trousser les jupettes. Pour voir quoi, d'ailleurs ? Non, mais franchement, les garçons doivent être assez bêtes pour vouloir voir une petite culotte qui n'a rien de spécial.
     Je ne mens pas... Enfin, pas trop. Je rapporte la monnaie quand je dois faire des courses. Bref, je suis sage comme une image.
…     C'est pas vrai. Il ne manquerait plus que ça, que je sois sage. Que je mène une vie sans aucun sens. Ni parfum. Ni goût.
     Peut-être serait-il recommandable de ne pas se battre. Mais comment faire ? Se battre a été au début quelque chose de nécessaire. Maintenant c'est devenu un plaisir. Pas toujours, naturellement. Il y a des moments où ça peut faire mal. Mais quand ça fait du bien, c'est extra. Plus que, même.
C'est ça que d'être un garçon. J'ai douze ans.
     Je suis modeste et prudent. Douze ans. Tiens donc ! J'en ai déjà douze. Et j'en aurais encore beaucoup-beaucoup d'autres. Beaucoup plus. Et peu importe si d'autres auront eux aussi beaucoup d'années à vivre. C'est pas mes oignons.
Mes oignons c'est une toute autre chose. Et tout à fait ailleurs.
J'ai eu comme cadeau d'anniversaire pour mes douze ans, le droit de monter sur la moto de maman.
     Jusque là, je pouvais essayer le casque du passager. C'était déjà quelque chose. Je pouvais même grimper sur l'engin à l'arrêt et mettre les mains sur le guidon. Un vvvvrrrroummm- vvvvrrroummm bien fait avec la bouche me donnait des frissons. C'était pas mal.
     Mais c'était tout. Je n'avais pas le droit de grimper sur la place du passager et faire des courses avec maman.
     Maintenant, oui. C’est mon cadeau d’anniversaire.
     La moto de maman est trop belle. Elle n'est pas trop grande, mais fort rapide et agile. Les couleurs me plaisent beaucoup. Vert et bleu. Tout ça, métallisé, bien sûr. Elle fait un bruit ni trop bas, comme les motos des ultra-mecs, ni trop aigu, comme celui des mec-moustiques.
     Quand maman monte sur sa moto, ses fesses et ses hanches collent à la machine. C'est rond et doux. Tout ça. Elle se penche beaucoup en avant. Elle est presque couchée sur la moto et ça nous donne une forme aérodynamique spéciale, très-très.
     Lorsque je monte, je mets mon casque, comme maman. Je mets les pieds sur les deux trucs pour les pieds. Je mets les mains autour du ventre de maman. Je me colle à elle. Elle préfère ça, plutôt que de me savoir accroché à je ne sais pas quoi dans un équilibre impossible. Elle dit aussi improbable. Mais, enfin, ça n'a pas beaucoup d'importance.
     Comme je suis collé-collé à elle, elle peut se coller à son tour à la moto et faire corps commun avec elle. Forme aérodynamique, comme j'ai dit. Ensuite, on peut faire tous les mouvements possibles. Nous démarrons très vite et très bien. Nous nous faufilons parmi les autos et nous faisons des bras ou des doigts d'honneur mentaux aux idiots qui se rangent devant le feu, en clignant disciplinés de leurs clignotants.  Nous sommes tout vitesse ou tout freinage plus ou moins violent. Nous sommes un mouvement pour lequel je ne trouve pas les mots.
     Souvent, je suis heureux. Comme ça.
     Cela étant, si un camarade d'école fait une réflexion désagréable (genre : « ta mère sur la moto et mon cul sur la commode » ; ou autres, formulées sur un ton persiflant ou insultant), je sors de mes gonds et mes frappes partent avant même que je m'en rende compte.
     Ce qui m'énerve le plus, c'est le regard que certains posent sur maman quand elle est sur sa moto. Je n'aime pas ce regard. Ni celui qu'on pose sur moi parfois. Ce mélange de raillerie et de haine, d'outrage et de mépris piteux. Je n'aime pas ça. Pas du tout.
     J'ai envie de voir ce qu'ils ont dans leurs boyaux ceux-là. Je suis pas loin de leur ouvrir le bide puant avec un grand couteau bien affûté.
     Je n'aime pas leur regard.
     Leur regard de mes douze ans.
 
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22 juin 2018 5 22 /06 /juin /2018 15:41
 
 
                                        Parkinson
 
 
     Je me sens très seule. Et en même temps, très connectée à un extérieur qui m'échappe. Je le gobe. Je veux dire, l'extérieur. Cet extérieur-là. Pourtant il m'échappe sans cesse. Sans sens, aussi, dirais-je. Il n'y a que peu de sens dans toute cette histoire. Une miniature microscopique, au mieux.
     Avant de nous coucher, nous nous sommes payés trois lignes chacun. La paix domestique nocturne passe par l’absorption chimique de cocaïne. L'amour réciproque, vrai mais routinier, ne nous est plus suffisant. Nous avons besoin d'un excitant qui calme, d'un excitant calmant.
     Aujourd'hui, pourtant, je n'arrive pas à m'endormir. Gabriel, à côté de moi, respire tranquillement et fait des beaux rêves. (Je crois.)
     Moi, je regarde les fenêtres d'en face. Je ne sais pas comment elle s'appelle. Je la vois toutes les nuits. Pendant la journée, je ne sais pas, nous sommes au travail tous les deux. Mais la nuit, je la vois.
     Elle est assez grande, les cheveux clairs et courts. Elle est certainement à la retraite. Elle est à l'aise financièrement. Elle occupe un trois pièces, avec balcon, cave et garage. Elle est seule. Du moins les nuits. Je ne vois personne d'autre à travers les grandes vitres de son séjours ou à travers les fenêtres de sa cuisine. Le reste de l'appartement donne de l'autre côté du bâtiment.
     La nuit, toutes les lumières sont allumées. Je peux voir jusque de l'autre côté de l'appartement. Je la vois faisant ses cent pas. Tout le temps. Son corps est une espèce de S, avec un petit ventre proéminent et avec des fesses ressorties. Elle marche à petits pas. Sa main gauche tremble fortement. Elle a un Parkinson. Et plus.
     Elle fait ces cent pas et elle parle en utilisant aussi les mains. À qui ? Elle sort sur le balcon, une livre à la main, et elle lit. Il fait noir, la lecture doit être impossible, mais elle fait les gestes adéquats. Elle lit et elle parle. Elle en parle, peut-être. Elle n'a pas l'air d'une folle. Mais elle est folle.
     Elle rentre dans l'appartement et continue à faire des rondes. Elle obstrue plus ou moins régulièrement la lumière qui arrive de la pièce qui se trouve de l'autre côté de l'appartement. Elle va dans la cuisine, mais elle revient aussitôt. Elle est inquiète et fébrile. Et inutile.
     Ça me fait de la peine. Beaucoup. Ça me stresse beaucoup. Ça me fout la trouille. Et encore quelque chose, sans nom. Comme une haine sans sens, sans but. Beaucoup.
     Je pense à ma mère. Décédée. À mon père. Parti. À ma fille. À mes deux fils. À Dieu. À Gabriel. À moi.
     Ça me fait de la peine.
     Et s'il m'arrivait la même chose ? Comment allons nous nous en sortir ?
     Ça me stresse. Ça me fout la trouille. Et encore quelque chose, sans nom. Comme une haine sans sens, sans but. Énorme. À mourir. Beaucoup.
 
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16 juin 2018 6 16 /06 /juin /2018 04:53
 
 
                                  Jalousies
 
     Je suis jaloux.
     De papa. De maman.
     De papa et (de) maman. De maman et (de) papa.
     De papa plus maman. De maman plus papa.
     De maman et moi – de moi et maman. De papa et moi – de moi et papa.
     De papa plus maman – et moi. De moi et maman – plus papa. De moi et papa – plus maman.
     De papa, quand il regarde maman. De maman, quand elle regarde papa.
     De tous les deux, quand ils se touchent. Aussi, quand ils ne se touchent pas.
     De papa qui me regarde. De maman qui me regarde. De papa et de maman qui me regardent. De moi qui les regarde. De nous trois, qui nous nous regardons.
     De ceux qui nous regardent et de comment ils le font.
     De ce et ceux que papa regarde. De ce et ceux que maman regarde. De ce et ceux que papa et maman regardent. De ce et ceux que je regarde. De ce et ceux que papa, maman et moi regardons.
     De ce que papa dit. De ce que maman dit. De ce que je dis.
     De ce que nous ne disons pas, papa, maman et moi. Chacun de son côté ou tous ensemble.
     De ce que papa sait. De ce que maman sait. De ce que je sais. De ce que nous, papa, maman et moi savons.
     De ce que nous ne savons pas – papa, maman, moi –  ensemble, ou chacun à son compte.
     De ce et ceux que papa aime. De ce et ceux que maman aime. De ce et ceux qu'ils aiment, eux. De ce et ceux que j'aime, moi. De ce que nous aimons chacun de son côté ou tous ensemble.
     De comment nous sommes vus. Par l’œil terrestre, par l’œil céleste. Par la (les) foule(s) de gens, d'animaux, de plantes, de minéraux, d'objets mentaux, d'illusions, d'espoirs, de chiffres et de numéros, de symboles, d'archétypes, de mythes, d'anamorphoses, de distorsions, de folies. Par le trop plein. Par le trop vide. Par le (trop) bien, par le (trop) mal. Par le hors du commun. Par la banalité. Par personne.
     Je suis jaloux.
     Jaloux de mon père, de ma mère, de moi-même, de nous trois, de notre orgasme mortel, cosmique.
     Jaloux de Dieu.
 
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14 juin 2018 4 14 /06 /juin /2018 06:35
 
 
                              Dématérialisations
 
 
     Club de bridge parisien. Dos à dos, mur à mur avec le Cimetière de Passy.  Le Cimetière est creusé sur le sommet d'une colline dont les versants descendant vers la Place du Trocadéro sont enveloppés par un mur en pierre avec, sur lui, un bas-relief imposant qui me laisse assez indifférent.
Dans le Cimetière il y a les morts du cimetière.
     Je joue avec un très bon joueur, un Serbe que je paye généreusement au noir. Il entretient ainsi sa famille : une femme et deux enfants. Son regard me dématérialise. Je n'existe pas trop pour lui. Je suis un porteur de porte-monnaie et de prostate.
     Jadis, la prostate m'obligeait assez souvent à quitter la table pour aller vider ma vessie. C'était une opération de plus en plus laborieuse, si je peux me permettre. Maintenant, c'est le manque de prostate qui m'oblige de passer assez souvent aux toilettes. Changer les couches, s'il vous plaît.
     Lorsque je devais transporter ma glande pas trop en forme et ma vessie aux toilettes, je me faisais remplacer par le barman. Aujourd'hui, quand je n'ai plus de glande, c'est davantage le cas. Le barman est un Sri-Lankais assez jeune, qui, entre deux cafés, thés, cocas et autres vins et alcools, remplace les vieux qui vont aller pisser avec ou sans leur prostate (comme moi), ou les vieilles qui ont un nez à poudrer ou un coup de fil à passer. Il a des enfants lui aussi. Comme le Serbe. Comme tant d'autres. Comme moi, par exemple. Il joue pas mal. Mais pas à la hauteur de mon Serbe. Je me demande, par ailleurs s'il ne rend pas d'autres « services » aux vieilles... (Peut-être le Serbe aussi ?) Le regard du Sri-Lankais me dématérialise lui aussi. Mais pas comme celui du Serbe. Pour lui, je suis déjà dans l'espace de son Bienheureux Bouddha. Enfin, c'est ce que je crois.
En tout cas, autant l'un que l'autre me dématérialisent.
     La chose est valable pour certains autres des membres du club. La plupart sont comme moi. Riches, vieux, prostatiques, arthrosiques, ne sachant quoi faire du temps qui leur est encore accordé, la jacasserie, le râle, le bridge mis à part.
     Enfin, il faut faire avec.
     Je les dématérialise moi aussi. Tous.
     En conséquence, maintenant, lorsque je finis difficilement à changer mes couches pleines, remplies de la pisse accumulée depuis une heure et demie, je vois, en dématérialisant tout le monde, comment entre le Serbe et le Sri-Lankais a lieu un échange de coups de revolver. Je ne sais pas ce qui s'est passé. Ce n'est pas mon affaire, d'ailleurs.
     L'assistance, courageuse, couchée par terre, se cache sous les tables. Il y a des cris, bien sûr. Il y a des coups de fils passés à la police et aux proches.
     Il y a les deux morts, le Serbe et le Sri-Lankais, baignant dans leur sang... Il y a leurs femmes, en pleurs, dans leurs maisons respectives, entourées de leurs enfants respectifs... Dans leurs regards je vois la dématérialisation de leurs époux et pères. La perte. Tout est dématérialisé maintenant. Perdu. Tout.
     Il y a aussi le regard de mes enfants à moi. Un regard invisible. Je le sens fortement avec d'autres sens que celui de la vue, pourtant. Plusieurs regards malmenés, condensés, devenus un regard unique. Ils me considèrent comme un fou... unique. Le leur. À raison, sans doute. Un fou sans prostate et sans raison. En me déclarant fou, ils veulent extirper ma raison, à l'instar de ceux qui, pour pouvoir me déclarer vieux, ont extirpé ma prostate...
     Je ne suis pas bien. Je suis dématérialisé.
     Je suis complètement out. Je suis riche. Je vais mourir comme ça, riche – et out.
     Je finis de changer mes couches. Je me lave les mains. (Au moins ça.)
     Je regagne la salle de jeu. Ici, tout est en règle. Rien de changé. Le Sri-Lankais me cède la place, comme une machine, comme un machin. Un machin sri-lankais. Le Serbe, lui, en machin serbe, regarde quelque chose à travers moi. Quant à moi... Un machin toujours, moi aussi. Un machin tout personnel...
     Je jette un coup d’œil autour.
     O.K.
     Tous les machins sont en place, dématérialisés. Je me meurs.
     Viendront-ils me tenir la main dématérialisée, me ranger l'oreiller dématérialisé, quand je vais me dématérialiser, quand je vais mourir (riche – et out), viendraient-ils auprès de moi mes enfants... dématérialisés... ?
     Viendront-ils me tenir la main dématérialisée, me ranger l'oreiller dématérialisé, quand je vais me dématérialiser, quand je vais mourir (riche – et out), viendraient-ils auprès de moi mes enfants... dématérialisés... ?
     (Aïe, aïe, aïe !)
     (La réalité est tellement inconsistante..., dématérialisante !)
 
En vente sur Amazon (version brochée), sur Kindle (version ebook)
Blog : www.alexandre-papilian.com/
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8 juin 2018 5 08 /06 /juin /2018 15:53
 
 
                   Mais qu'est-ce que j'en sais, moi ?
 
 
     Je suis leur oncle préféré. À raison. À grande raison. Je comprends pourquoi. Moi aussi, si j'avais un oncle à préférer, j'aurais donné un très grand satisfecit à une personne comme moi.
     - À ma personne.
     Oui, je sais, ce n'est que trop modeste. C'est parce que la modestie n'est que la première parmi mes multiples qualités premières.
     - Je vous laisse le plaisir de dénouer cette énigme linguistique.
     Alors, quand Quentin est rentré au bercail, après deux mois de vrille, ils sont venus me voir.
     Ils avaient un problème de conscience, un problème de compréhension et, pas en dernière, un problème comportemental ou communicationnel, social et sociétal.
     - Comme vous voulez.
     Leur père, donc mon frère, est très différent de moi. Il est d'une nature calme, presque apathique. Ses joies et ses chagrins ne sont jamais enflammés. Il se couche à 22h et se lève à 6h. Il va au travail (une agence bancaire dont il est depuis peu le chef) et il revient avec des gestes sûrs et prévisibles. Ses vêtements le font fondre dans la masse qui, chaque matin, se déverse en voiture depuis les banlieues vers le centre-ville et qui, le soir, prend la route inverse, comme si la petite humanité locale était animée par des mouvements péristaltiques de sens contraires mais réguliers. 
Sa femme est une honnête femme, porteuse d'une très banale banalité. Ses deux enfants sont ni plus ni moins beaux ou moches, intelligents ou crétins que tant d'autres. Que tous les autres.
     Ils sont venus maintenant me voir.
     Depuis un moment, leur père, mon frère, avait déménagé chez sa maîtresse. Une nana qui l'avait attiré dans ses rets. Je ne la connais pas. Mais l'histoire se serait achevée aujourd'hui. Apparemment. En tout cas, il est revenu, la queue entre les jambes, au sein du foyer de sa matrone insipide, incolore et inodore...
     Je suis méchant, certes, mais doté d'un sens de la réalité assez remarquable, n'est-ce pas ? Sinon, pourquoi viendraient-ils, les deux post-morveux, chercher conseil et réconfort auprès de moi ?
     Je serais un ersatz de Bouddha, paraît-il. Pas trop grand, trapu, ventru, dégageant une sensation de confort, avec tous mes cheveux et presque toutes mes dents. Toujours bien rasé et parfumé. Avec une pochette dans la poche correspondante. Toujours joyeux. Je regarde sans crainte le vide d'en face. Je n'ai pas de femme, ni de petite amie. Mais j'ai une aura mensongère, qui dit que je serais plus qu'épanoui sexuellement, satisfait sentimentalement et psychologiquement.
     Ce n'est pas faux. La masturbation, à la mode aujourd'hui dans notre société gâtée, m'est suffisante. Voire, enrichissante. Je découvre, en me branlant, des choses inimaginables dans des temps normaux. Je les découvre en moi. Je suis riche de moi.
     C'est vrai que je connais moins de monde qu'à l'époque où je tirais sur tout ce qui bougeait, mais je n'en ai même plus besoin.
     Enfin.
     Mais pour revenir à nos moutons, les deux jeunes, mes neveux dont je serais paraît-il l'oncle préféré, sont venus me voir.
     - Comment réagir au retour de leur père ?
     Mais qu'est-ce que j'en sais moi ?
 
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