Quatre formes nécessaires de folie obligatoire – Mourir 40
Dieu.
Pourraient-ils devenir Dieu ?... Dieu ?...
Et moi ?
...Tom, le bienheureux à la baguette matinale, croustillante et tartinée. Assis dans le fauteuil placé sous la fenêtre entrouverte. – Mois de mai. – Printemps. – Nous gardons le silence.
- C’est bizarre, dit-il soudainement. Nous n’avons jamais dansé ensemble.
J’ai décelé dans le regard qui arrive jusque chez moi, dans ce regard qui m'arrive, une lueur malicieuse un peu haineuse. (Mon look devait être celui d’un crétin.)
La malice, d’abord :
- Toi, reprit-il, toi t’as dansé avec Magali, uniquement. Et avec maman, bien sûr. Mais pas avec nous, les garçons. C’est maman qui a dansé avec nous, les garçons. Et du coup, elle n’a pas dansé avec Magali. Naturellement, non ?
Puis, la haine :
- Les singes montrent à leurs petits comment s’accoupler. Ceux-ci ne peuvent pas s’imaginer la baise. Ils peuvent la copier. L’imiter. Pour les singes, la baise est d’abord spirituelle. Sans esprit, elle n’existe même pas. La transmission héréditaire est dépendante de l’esprit. L’hérédité devient spirituelle ; elle devient esprit. Et vice versa. L’esprit n’est qu’hérédité. Hérédité pure. Pure et dure. (Pause) C’était du rock. Personne ne danse plus aujourd’hui le rock. Et encore moins le tango, le fox-trot et le slow, le charleston, la valse, le cha-cha-cha et autres mambos. L’hérédité s’avère inexacte et peut-être même inutile, n’est pas ? En tout cas, elle peut s’avérer inutile. N’empêche. Moi, en imitant à mon tour, aujourd’hui, ce qu’on m’a fait faire hier, je transmets à mes rejetons de ces mambos, tangos et rock, mais aussi d’autres, tout aussi caduques, vétustes et inutiles. Ça relève de la supériorité de l’histoire en vie. Nostalgie, déprime, ennoblissement, charme.
Fatigué, au bord d’un nouveau voyage au bout du rien, je ferme les yeux. Je l'entend parler avec une voix lointaine et – je dirais – avec beaucoup de tendresse.
- T’es nul, toi, en rock, finit-il. Pas comme maman. D’où la nullité initiale de Magali. C’est en dansant avec nous, après, qu’elle s’y est mise, elle aussi… C’était de l’inceste dansant, n’est-ce pas ? Et spirituel, tans qu’on y était ! N’est-ce pas ? Spirituel !
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Lorsque je suis revenu, Tom était parti. À sa place se trouvait Magali. Elle ressemble terriblement à ma mère.
(Justement. On parlait hérédité. Sans savoir de quoi on parlait. Si l'hérédité pouvait être parlée.)
Elle fait l’impasse sur une génération, sur sa propre mère, sur Jeanne ; sur moi aussi. Elle s’est agrippée à sa grand-mère, à ma mère. Elle la continue. Comme si elle était la fille de maman et, donc, ma sœur.
C’est de l’hérédité à l’obstacle, au saut.
Je me demandai comment se passeront les choses avec elle, lorsqu’elle rendra son âme, à son tour. Qui, pour la continuer ?
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Maman, elle, a cessé pratiquement de manger. Comme Jeanne d’ailleurs. Elles étaient de plus en plus affaiblies et de plus en plus légères…
Maman… Jeanne… Moi, je suis tellurique, moi. Je cherche insatiablement, en bouffant comme un dératé, la lourdeur, la pesanteur, le centre de la terre. Maman, au contraire, avait l’air de vouloir être la plus éthérée possible. Astrale… Elle mettait le cap sur la Lune, maman… Ou, sur le Soleil… Ou sur les deux… ?… Elle voulait… s’étoiler… Mourir…
Elle me manque terriblement !
Papa aussi.
Jeanne !
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