Vivre toujours sa vie
Dernière chose, les deux enfants et le camion. Raymond, jeté en air. Projeté sur la pelouse fraîchement coupée. Sans vie. Gilbert, écrasé par la roue. Aussi grande que lui.
- Ses petits os écrasés.
- L'épouvante.
- La chose à mourir.
Au réveil, l'hôpital. C'est ce que l'on m'a dit. Rien dans ma mémoire. Réveillée sans conscience. Il paraissait. Je ne reconnaissais personne. Je ne parlais pas. Pas sûr d'entendre quelque chose. De voir quoi que ce soit.
- Je me protégeais de l'Enfer.
Ainsi fut-il mon premier réveil.
- Qui n'en fut pas un.
Le suivant, le vrai, eut lieu à la maison. Quatre semaines après l’attentat, je parlais. Je pouvais le faire. Un peu.
- Je voulais parler.
Je voulais savoir ce qui s'était passé. C'était pour ça que je parlais. Je voulais savoir. Je parlais. Je ne pouvais rien. Rien croire. Ce n'était pas possible que ce soit vrai. L'Enfer n'est pas vrai. Un camion fou qui monte sur le trottoir pour écraser des gens. Pour écraser Gilbert et Raymond. Cinq et trois ans. Leur premier 14 Juillet au bord de la mer, à Nice. C'est pas vrai.
- Ça ne peut pas être vrai.
Mikael avait l'air d'un zombie. Il animait l'Enfer. Le meublait. Mal rasé, voûté, il avait trente ans de plus. Un inconnu. Un vieillard inconnu. Dire que c'était le père de mes enfants. Dire que c'était mon mari. Quel mari ? Quels enfants ? Des ex-enfants. Des ex-parents. Ensemble. Pour la vie.
- Pour l'Enfer.
Nous sommes des personnages d'une autre vie.
- Pas de la mienne.
Et puis après, les psys et les services spéciaux.
- Se tenir à carreaux !
Ne pas gêner les clairvoyants. Ils nous illuminent. Ils nous sonnent :
- Vivre toujours sa vie !
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Ah, bon ?
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