Stop !
Coralie est une soixante-huitarde exemplaire. Sa taille, moyenne. Ses jupes, longues et ternes. Sa natte, noire naguère, plus qu'épaisse et super-longue. Très myope. Ne porte jamais ni bas, ni chaussettes. À travers les barrettes de ses sandales, portées autant l'été que l'hiver (elle se déplace exclusivement en voiture, donc elle ne souffre jamais du froid), des orteils un peu tordus, montrent des ongles dont la propreté est « limite », voire « médiocre ».
Sa famille est masculine.
- Un mari et trois garçons.
Ils habitent dans un bled oublié du monde, en pleine forêt. Les garçons vont au collège et au lycée en prenant le bus scolaire. Le mari et elle même vont à leurs boulots respectifs en voiture. Ils en possèdent deux invendables. Des vieilles patraques.
Coralie s'occupe d'enfants très handicapés. Son mari, Louis, est psychologue.
- Aujourd'hui.
Justement : aujourd'hui. Auparavant il faisait de la poterie. Mais « la région ne s'y prête pas ». Pauv' Limousin ! Quelle idée d'être « l'épicentre de la porcelaine » ! Quelle idée de ne pas se prêter à la poterie de ce personnage ! Quelle idée de ne pas le laisser se développer artistiquement ! Quelle idée de le rater ! Quelle idée de fabriquer encore un raté !
Mais c'était de méconnaître le personnage. Il n'était pas du tout disposé à déposer les armes. Il s'est reconverti. Il est devenu psychologue.
La femme à la grosse natte et l'ex-potier psychologue ne se sont jamais marié.
- On a vu ça, d'ailleurs, même au sommet de l'État !
Ils ne se sont pas mariés, donc, jamais. Ils ont fait seulement trois enfants, trois garçons – ensemble. Ils considèrent que le mariage est bon uniquement pour les homos et pour les prêtres.
- À prendre au premier degré, s'il vous plaît.
S'il.
Le mari, après avoir dispensé ce type de conseils aux paysans en quête de réconfort psy, passe ses journées en préparant d'excellents pot-au-feu. Aussi, du cidre. Il danse très bien le rock. Il joue souvent le rôle de père fouettard.
Coralie, pour s'échapper un peu à l'atmosphère du foyer – « ça sent le bouc, partout et tout le temps » –, a chanté pour un laps de temps dans une chorale. Elle ne danse pas du tout. Et surtout pas le rock. Elle a une belle et agréable voix d'alto. Récemment, elle a découvert le bridge.
- Les boucs et les chèvres y sont vieux et vieilles.
Y.
Et inoffensifs.
Et.
S'il, y, et !
Stop !
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Haïku
Le Haïku est une forme fixe de poésie, inventée par les Japonais. 17 syllabes, trois vers, une référence obligatoire à la nature.
Lors des tournois du Club, les pauses qui s'imposent (pardon pour pauses/imposent, rime intérieure, mais nous sommes en plein dedans – je veux dire, dans la poésie ; ou non ?), pendant ces pauses, donc, on a à peine le temps d'avaler quatre, cinq taffes d'une cigarette qui n'a plus de goût depuis la loi qui rétrécit de plus en plus la liberté, voire l'existence des fumeurs.
C'est presque l'intervalle nécessaire pour bien lire et goûter un « instant » de type Haïku. C'est aussi parfois le temps de le créer.
- Le Haïku, je veux dire.
Dire.
Cela s'est passé aujourd'hui. Émilie Gros, soixante-dix années bien soignées, en répondant à une question aimable de mon partenaire, Raoul Valois, à parlé comme suit :
- Ma petite fille a peur de dire à sa mère combien son père lui manque.
En traduction haïku-ienne, ça donne :
Ma petite fille a peur de dire à sa mère
combien lui manque
son père.
Tout est dit dans cette phrase/poème. Enfin, sinon tout (la nature n'y est pas), beaucoup.
Ce qui n'est pas dit, pour autant, c'est l'expression vocale-sonore, faciale, corporelle, comportementale d'Émilie Gros.
- Inquiétude pour sa petite fille, mais aussi pour sa fille, plus une fine satisfaction quant à l'échec personnel de sa fille/concurrente et, par conséquent, une subtile satisfaction à l'endroit de sa propre supériorité par rapport à sa fille, à sa petite fille, au monde, à l'Univers.
Cela ne l'empêche pas de jouer « à l'italienne1 », comme un cochon, comme un âne, l'Émilie Gros.
- Elle est convaincue pourtant du contraire.
Du.
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Blog : www.alexandre-papilian.com/
1 L'expression française est « comme un pied » ; la roumaine, « comme une botte ». Pied, botte, l'Italie n'est pas loin. On peut donc jouer « à l'italienne »...