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Présentation

  • : Alexandre Papilian
  • : Ne pas être seul dans la proximité de la création. - Partager ce qu'on peut partager pendant la lutte avec les ombres - pendant la danse avec. Personnalité(s) forte(s) et inconfondable(s), se faire intégrés dans des communautés riches en névrosées, bien intégrées dans le monde actuel.
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  • Alexandre Papilian
  • Ecrivain et journaliste franco-roumain. Le sarcasme dépasse de loin la tendresse qui,elle, reste un voeu créateur de nostalgie. Volilà !
  • Ecrivain et journaliste franco-roumain. Le sarcasme dépasse de loin la tendresse qui,elle, reste un voeu créateur de nostalgie. Volilà !

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6 octobre 2017 5 06 /10 /octobre /2017 08:09

L'enfant mort-né

 

 

Dehors, moins quarante-cinq degrés. La taïga est recouverte de deux mètres de neige glacée. Plus rien ne bouge. Pas de bruit, sauf, rare et inégal, le rugissement du tigre.

- Des frissons dans le dos, des coups dans le ventre.

Il rode autour du hameau. Autour de l'isba.

L'enfant est mort-né.

L'image qui me hante – leur image, composée de leurs images – n'individualise, ne personnalise personne.

- Une nébulosité absolue.

Une nébulosité pourtant spécifique. Ça n'a pas été pas une fausse couche. Ce qui est sorti d'entre les jambes de la femme a été de la chair, des os – morts.

- Ce qui a été, dans le ventre de sa mère, un enfant.

Il est sorti directement dans la mort – et déjà mort.

- Suis déchiré.

D'abord, par le sentiment multiforme des parents. La femme a fait naître la mort. Mais qui a fabriqué cette mort ? La mère ? Le père ? Les deux ensemble ? Le tigre ? La taïga ? Le froid ? La nuit ? L'enfant, peut-être ? Dieu ? La Mort ?

Puis, c'est le sentiment ou l'idée de captivité. (Le mot « prisonnierat », beaucoup plus adapté à la situation, n'est pas accepté par les dicos.) On n'échappe pas à la mort. Plus tôt ou plus tard, elle sera des nôtres.

- Elle l'est déjà.

Right !

Quant au cadavre expulsé du ventre de la femme, je ne saurais rien à y dire. Il n'a pas eu le droit à la naissance. Il a eu quand même, droit à une sorte d'avant-vie. Lorsqu'on l'a fait sortir, tout y était. Les bras et les petites mains, les jambes rondouillardes et les petits pieds, les ongles, les oreilles, les yeux, le duvet collé sur la tête... Tout, sauf la vie. Sauf le souffle. Sauf le mouvement. (Qu'est-ce que c'est ?)

- Une totale inertie.

Le tigre continue sa ronde. Et son rugissement, dans le noir. L'effroi excave les tripes des villageois.

- Mes tripes.

Je ne sais pas ce qu'ils feront du petit cadavre. Ils ne peuvent pas sortir. La nuit n'est pas trop lumineuse. Elle durera encore deux mois. Le dehors leur est interdit. Le dedans sera fait de haine réciproque.

- D'amour psychopathe.

Et que sais-je encore.

- Le tigre, affamé sans doute, rôde autour.

Dans l'isba, le poêle à bois donne une chaleur approximative.

L'enfant mort-né est un attentat.

Le couple le ressent en tant que tel.

- Pas le tigre.

(Cependant, à un moment du XXème siècle, un certain Cioran écrivait dans L’inconvénient d'être né, un de ses livres à grand succès : « J'aimerais être libre, éperdument libre. Libre comme un enfant mort-né. »)

 

Blog : www.alexandre-papilian.com/

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