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Présentation

  • : Alexandre Papilian
  • : Ne pas être seul dans la proximité de la création. - Partager ce qu'on peut partager pendant la lutte avec les ombres - pendant la danse avec. Personnalité(s) forte(s) et inconfondable(s), se faire intégrés dans des communautés riches en névrosées, bien intégrées dans le monde actuel.
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  • Alexandre Papilian
  • Ecrivain et journaliste franco-roumain. Le sarcasme dépasse de loin la tendresse qui,elle, reste un voeu créateur de nostalgie. Volilà !
  • Ecrivain et journaliste franco-roumain. Le sarcasme dépasse de loin la tendresse qui,elle, reste un voeu créateur de nostalgie. Volilà !

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30 mai 2008 5 30 /05 /mai /2008 08:33

Bip

Avant propos

C’est quoi le temps ? Les définitions fusent, enrichissent le monde, et compliquent la chose. Lorsque, tout en restant en vie, on réussit à se séparer de son vécu, on est envahi par l’angoisse de l’invécu qui s’offre à sa sonde exploratrice et, en même… temps (c’est quoi ?), par la paix que seule l’humilité de l’impuissance assumée apporte ou provoque ----------- de temps (c’est quoi ?) en temps (c’est quoi ?).

Le mouvement, c’est à dire, la vitesse (dépendante de temps ----------- c’est quoi ?), soulève de plus en plus de questions. Y répondre, signifierait avoir trouvé ----------- la définition globalisante du temps ----------- la définition du temps globalisant ----------- (ou autres). Il n’en est pas le cas. De surcroît, comme certifié par certaines philosophies non-européennes, l’immobilisme, lui aussi a le droit de cité.

On est emmené ainsi à bâtir une civilisation (----------- solidement fondée -----------) sur le mouvement et sur son contraire. En règle générale, le moment, l’endroit où les deux s’articulent est marqué conventionnellement par un bip ----------- énervant, mécanique, névrotique ----------- et autres.

 

        

Bip

Aline se pencha pour ramasser la monnaie tombée sous la caisse.

La bonne femme suivante commença à sortir les produits de son caddie et à les mettre sur le tapis.

L’animateur, égaré Dieu sait où, quelque part entre des étalages, reprit brusquement son discours. Sur la purée de pommes. Les haut-parleurs résonnèrent amplement, envahissants.

Aline se leva. Tout en remettant sur son chevet la toque noire, pointue, de sorcière, elle compta les pièces ramassées, les mit dans le tiroir de la caisse, appuya sur la touche. La machine commença à crépiter.

Aline tendit le bras. Elle appuya sa main sur la machine. Elle prit le ticket. Elle le donna à l’homme accompagné par son petit. Ils avaient acheté une bouteille de vin, de la réglisse et – halloween oblige ! – deux masques de monstre. Ils les portaient déjà. Leurs têtes, en-masquées, énormes, évoquaient, rendaient possible !, l’existence d’une espèce nouvelle, étrange.

Aline tourna le regard vers la cliente qui continuait à sortir les produits de son caddie.

- Bonjour, Madame.

L’autre répondit d’un sourire, d’un mouvement de tête.

En regardant Aline, Pierre sentit son coeur crever de tendresse. Elle était tellement belle ! Pâle et cernée ! Tellement faible et tellement attendrissante ! Baisable ! Prenable ! Tellement intangible, toutefois ! Elle n’était pas faite pour un tel travail. Sûrement pas ! Évidemment ! L’automatisme la tuait. Plus que ça même... Mais elle s’accrochait à ce job d’été... Encore que, l’été était à peine visible; déjà invisible. À la fac, pourtant, les cours n’avaient pas encore atteint leur vitesse de croisière. On pouvait bricoler encore. C’était l’été. Encore. Par ici, par là. C’est-à-dire, pour eux, les étudiants. Ils travaillaient tous les deux. Elle, comme caissière. Lui, en tant que commis chaussé de rollers. Pour gagner un peu d’argent, certes !, mais aussi pour s’amuser... Ils avaient accepté, tous les deux, en s’amusant, évidemment, la tenue d’aujourd’hui, imposée « à l’occasion » de l’halloween. Des coiffes pointues, noires, des pèlerines rouges, attachées aux épaules, des tee-shirts rouges avec des inscriptions bénignes écrites avec des lettres sataniques, sur la poitrine... Pour faire quelque chose, donc, quelque chose d’amusant; et pas seulement pour du fric ! Et voilà !... Ils s’accrochaient tous les deux, à vrai dire... Pour... Elle était adorable, finissons-en ! Adorable !

La figure d’Aline pâlit encore plus.

Pierre sentit son coeur serré par la crainte. Caché derrière le pilon qui marquait le début du stand sport, il reçut – vécut ! – la nouvelle vague de nausée ressentie par Aline. Il la sentit serrer les dents, Aline. Il la sentit avaler sa salive, Aline... Il la sentait crispée, Aline ! Ce matin même, elle n’avait pas été très bien. Le début de grossesse s’annonçait difficile. Elle était héroïque, Aline. Elle aimait être héroïque. Son estime à l’égard d’elle même se voyait ainsi accrue. Elle s’aimait beaucoup ; elle aimait s’auto-estimer, Aline. Et ce n’était pas mal qu’il en fût ainsi... Elle s’accrochait à une réalité qui n’était plus, qui n’était pas la sienne. La réalité extérieure. Elle ne voulait pas accepter qu’il n’y eût plus, maintenant, qu’une réalité intérieure, Aline... La blastula qui bourgeonnait en elle, dans son ventre... C’était ça. Pas de doute ! C’était ça !  Ça, et rien d’autre ! Et toute cette lumière !... Blanche !... Froide !... Noire !... Fatigante...

Aline prit la première boîte déposée sur le tapis par la cliente et la passa au devant du lecteur. Il ne mit pas longtemps à biper, celui-ci. Puis une autre boîte. Bip. Ensuite, une botte de poireaux. Bip. Un sac avec des betteraves. Bip. Du détergent. Bip. De la confiture. Bip. Des bas. Bip. Des cacahuètes. Bip. Un livre. Bip. Du beurre. Bip. Des yaourts. Bip. Un poulet. Bip. Un autre poulet...

Aline renonça à regarder la marchandise. La machine travaillait tout seule. Elle n’avait qu’à travailler tout seule, la machine !... A biper en toute sérénité; avec toute l’application possible... Pourquoi avait-elle acheté un livre, la bonne femme ? Bip. Un livre, dans une grande surface, ça donne quoi ? Bip. C’est quoi, un livre, bip, là, dans une grande surface ? Bip. C’est quoi un livre, bip, dans le cerveau de cette bonne femme ? Bip. Dans la cervelle de cela ! Bip. Bip... Pour qui se prenait-elle ? Bip. Elle achetait des livres, voyons !, bip, la conne! Bip. Ni plus ni moins ! Bip. La petite dame!... Bip... Des bouquins !... Bip... Putain !... Purée !... Bip...

Bip.

Aline lâcha le chou-fleur, qui tomba sur la petite table. Elle rendit, d’un jet puissant, le contenu de son estomac. Le petit déjeuner. Et tout le reste. Ses entrailles ! Elle était travaillée par des spasmes tueurs. Le noir arrivait de partout. Elle s’évanouissait. Elle mourait. Elle partait. Elle s’en allait. On partait de chez elle. On la quittait. Une partie d’elle s’évaporait. C’est comme ça, quand on perd sa conscience. On la perd, strictu senso. Elle n’est plus nulle part. Pourtant, elle se trouve quelque part. Lorsqu’on revient à soi, elle s’y trouve déjà, pour pouvoir constater, prendre en compte sa propre remise en ses propres droits. Etrange. Bizarre.

Pierre quitta en grande hâte le pilon qui le cachait. Ses rollers étaient silencieux. Sa pèlerine rouge se déploya dans l’air...

...Il se dirigeait vers la caisse d’Aline. Il voulait l’aider. Il voulait ne pas la laisser souffrir. Ne pas la laisser s’en aller. Ne pas la laisser partir. Ne pas la laisser mourir. Il sera papa. Indéniablement. Gloméruleusement. Irréfutablement. Monstrueusement. Génialement. Halloweenement.
            (Bip.)

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