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[lorsque les lumières s’allument de nouveau, sous la banderole Pourquoi a-t-il une queue, l’éléphant ? on voit une autre : Pour qu’il ne se termine pas brusquement !]
L’homme
Finissons en queue d’éléphant ! Nous sommes du vrai ! Vraie queue d’éléphant qui ne laisse pas la fin arriver comme ça, d’un coup. [pause] Nous-mêmes, nous ne finissons pas comme ça, d’un coup. On dirait que nous ne pouvons même pas finir, nous ! [pause] Je quittais tout en quittant la Roumanie. J’y laissais une femme de qurante-cinq ans, trois enfants jeunes-adultes, énormément de parents, frères, sœurs, cousins, neveux et nièces, amis copains, des simples connaissances. Bref, une société ! Pareil, une carrière moyennement compromise, mais pas très mauvaise. [pause] C’est-à-dire - enfin, je veux dire que - dix ans avant la chute de Ceausescu - j’avais changé de cap. J’étais devenu un quasi-dissident.
La marionnette
Quelqu’un de bien : ni trop mauvais, ni trop bon. Un à-peu-près.
L’épouvantail
On ne composait, créait… inventait !... plus de chœurs écœurants à la gloire du Camarade et de la Camarade. On composait, par contre, des suites et des concertinos. Jamais joués. [pause] Dirait-on : du parfum albanais ?
L’homme
Je me suis lentement et sûrement éloigné du cercle des lèche-culs actifs. Mais je ne me suis pas efforcé d’effacer les faits accomplis, ni d’imposer mes nouvelles créations, apartiniéennes, apatriotiques… J’étais un tiède, un raté bien placé socialement. Mon nom n’était ni trop mauvais, ni trop bon. Moyennement (mais pas moins) depotoirisé. Comme je disais, un à-peu-près. Un de ceux que Dieu vomit de sa bouche.
La marionnette
Une fois arrivé à Paris, tout bascula.
L’épouvantail
Ça a été très soudain.
L’homme
Très soudain, absolument. Comme… je ne sais pas comme quoi, comme qui. Il n’y a pas de comparaison. [pause] J’étais quelqu’un au futur court, certes, mais largement béant.
La marionnette
Il ne pouvait pas se renouveler.
L’épouvantail
Chose ressentie avec un lourd désespoir.
L’homme
Au mieux je pouvais être quelqu’un de sous-humble, d’infra-simple. Je vivais cette volatilité qu’est la sensation de ne pas trouver un certain endroit assez peuplé par des valeurs inter-conciliables et, ensuite, compatibles avec moi-même, un endroit qui puisse me servir de squelette extérieur, qui puisse me squelettiser extérieurement. [pause] J’étais un nulle part ambulant.
L’épouvantail
Plutôt étonné, tu essayes à présent de saisir la couleur de ta propre flamme psychique.
La marionnette
[explicatif] Il est trop vieux pour haïr.
L’épouvantail
Tu aimerais, seulement, avoir la paix.
La marionnette
Il aimerait ne plus faire du mal.
L’épouvantail
Pareil, tu aimerais d’oublier le bien que tu n’as pas fait.
L’homme
Pour toujours. Pour toujours.
L’épouvantail
Oublier pour toujours.
La marionnette
Le bien qu’il na pas fait pour toujours.
L’homme
Le bien que je n’ai pas… [pause] …Pardon ! Voilà ! Je demande pardon ! Je ne demande même pas de la compréhension. Même pas de la tendresse. Ni d’amour. Même pas.
L’épouvantail
Tu n’es ni Dieu, ni totalité.
La marionnette
Encore faudrait-il qu’ils existent, eux !
L’homme
Je crois n’être aucune de ces… inventions nécessaires au bien-être de notre stupidité capable de vide, réconfortante.
[pause]
Le porteur de pancartes
[la nouvelle pancarte : POST-SCRIPTUM]
La marionnette
Ayons une queue d’éléphant.
L’épouvantail
Soyons l’éléphant d’une certaine queue.
L’homme
Élephantisons D’un coup. Disons que tout ça [indiquant l’épouvantail] - à cause de cette ordure. À cause de ma névrose.
La marionnette
C’est pareil. Ordure, névrose… Pareil. C’est pareil dans son cas. Dans les cas pareils.
L’homme
Ou, peut-être, c’est à cause d’autre chose.
L’épouvantail
[geste : « tu parles ! » ; ensuite, en parlant de l’homme] On voit avec une extrême clarté la mort approcher. On va mourir bientôt. Très. Très bientôt. Comment ressent-on la mort qui approche ? Comment ?
La marionnette
La mort. C’est comment... La mort...?
[Long silence]
L’homme
[au public, avec l’espoir d’être contredit] Ce n’est pas un dépotoir, au moins ?!?... [pause] Il fait noir. Il fait froid. Ici. Dans la queue de l’éléphant ! [en chouchoutant, après une pause] Une Révolution ?... Un Révolution... à moi ?
[Long silence. - Noir. - ...Eventuellement, dans le noir:
la chanson de John Lenonn, « Revolution »]
ou
[Long silence. - La chanson de John Lenonn « Revolution » plus une sarabande des personnages. La lumière s’éteint, peu à peu, mais la danse continue ; les personnages sont munis des torches électriques ; ils sortent un par un de la scène qui reste dans le « noir sonore »…]
Fin