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  • : Alexandre Papilian
  • : Ne pas être seul dans la proximité de la création. - Partager ce qu'on peut partager pendant la lutte avec les ombres - pendant la danse avec. Personnalité(s) forte(s) et inconfondable(s), se faire intégrés dans des communautés riches en névrosées, bien intégrées dans le monde actuel.
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  • Alexandre Papilian
  • Ecrivain et journaliste franco-roumain. Le sarcasme dépasse de loin la tendresse qui,elle, reste un voeu créateur de nostalgie. Volilà !
  • Ecrivain et journaliste franco-roumain. Le sarcasme dépasse de loin la tendresse qui,elle, reste un voeu créateur de nostalgie. Volilà !

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7 octobre 2010 4 07 /10 /octobre /2010 09:06

 

Œuf de fou

 

 

« Quelle est la différence entre nous et une maison de fous ? Eux, ils ont une direction lucide ! »

Blague audiovisuelle. 

 

« La folie de l’homme raisonnable est

anatomisée à fond par le clin d’œil du fou. » 

Shakespeare, Comme il vous plaira, II, 7 56-57

 

 

III


1

Dans l’avion de la presse présidentielle, les deux cents cinquante journalistes de tous bords et couleurs physiques et politiques se préparaient inconsciemment pour la traditionnelle bataille de coussins. Personne n’aurait conçu de rater cette grande fête aérienne.

- Elle avait lieu chaque fois quand le vol de l’avion de la presse présidentielle durait plus de trois heures.

Et cela pouvait être notamment le cas.

- Notamment.

Notamment – dans la mesure où personne ne savait combien de temps – vingt minutes, deux jours, des semaines… pour toujours ou pas du tout, jamais – l’avion restera-t-il dans l’air.

- Personne ! Ni les pilotes, ni les attachés de presse de la Présidence de la République, ni même la Présidence de la République personnellement, paraît-il.

Les stewards et les hôtesses de l’air passaient entre les sièges veillant au bien-être de ces animaux bizarres, les journalistes. Ils jetaient des regards de gendarme vers ceux qui, très bientôt, allaient se transformer dans une bande des fous furieux. Quant à ceux-ci, ils cachaient pour l’instant à merveille leur jeu.

- En l’occurrence leur envie d’en découdre avec le monde.

Ils parlaient paisiblement entre eux. Ils lisaient leurs propres articles parus dans le canard du jour ; ou, qui sait, dans celui d’une date passée.

- Ou future.

Ils ne se privaient pas de lire aussi des journaux de la concurrence confraternelle. Ils feuilletaient aussi leurs propres notes concernant la Nomadie et le Sommet de la Francophonie qui allait s’y ouvrir peu après leur arrivée.

  - Comme si rien n’était, comme si rien n’allait être.

Ică Glande, confortablement installé dans son fauteuil, regardait du coin de l’œil les lignes douces et élancées des hanches-cuisses enjeansées de la jeune Yovanka. Celle-ci, appétissante, assise deux rangés plus loin, côté couloir, regardait dans le vide. Ses yeux étaient mauvement et profondément cernés. Elle paraissait déconnectée de la réalité interne du vaisseau de la presse présidentielle.

<>

Note biographique de Yovanka.

La chienne, selon l’expression de Muguette, Yovanka, originaire de l’ex-Yougoslavie, avait épousé Gilles-Etienne Martin, un photo-reporter free-lance. Celui-ci se fit prendre un beau jour en otage en Tchétchénie. La famille Martin était assez aisée, voire riche. On savait bien que les Martin pouvaient payer la rançon.

- Qu’ils la payent, alors – les salauds !

Yovanka franchit clandestinement quatre fois la frontière séparant la Géorgie de la Tchétchénie, pour négocier la libération de son mari. On disait qu’elle avait dû se prostituer un peu chaque fois et partout. Entre le Caucase, le Danube, l’Ile-de-France et Paris intra muros.

- Cela la rendait, évidemment, très intéressante.

La rançon fut chiffrée – par l’imagination publique, par l’opinion ! – à plus d’un million d’euros…

- Très intéressant encore !

Tout le monde ne pouvait pas (se) payer un million et tout le monde ne se faisait pas baiser un peu partout pour faire libérer son mari !

- Sacrée Yovanka !

On disait, ensuite, qu’une fois son mari libéré, leurs retrouvailles furent difficiles. L’ex otage, assez labile psychiquement – un vrai précadavre cyclothymique ! –, passait d’une dépression à l’autre, de plus en plus profondes, de plus en plus violentes. D’autant plus précadavre, ce mari de Yovanka, qu’à peine avoir répondu, à côté de son épouse, aux questions des services spéciaux sur les conditions de son enlèvement, de sa détention, de sa mise en liberté, il se suicida. 

- Et cela, avant même d’avoir signé le contrat éditorial et cinématographique que tout otage responsable et présentable, qui se respecte, signe au plus tard dès la fin de ses péripéties !

Voilà qui était vraiment impressionnant ! 

En fin, comme, de surcroît, elle avait du caractère, Yovanka1promettait d’être captivante. Avec sa fraîcheur. Avec sa souffrance-malédiction. Elle promettait d’être sublime ! Transcendante !

- Tout RFI – hétéro, bi et même certains pur-homos (mâles ou femelles) – aurait voulu lui passer dessus !

 


1 Note affichée anonymement à côté des machines à café de RFI.

Sur

les Pensées et sur les Paroles Obsessionnelles

du Moment

de Yovanka

« Inceste ! Voilà qui est très intéressant. Le mot traverse le passé présent, le passé passé et l'avenir de l'humanoïde. Pareil, pour quelques dieux. Pourtant, il ne parvient pas aujourd'hui à rendre compte de ses vraies puissance et importance ou, plus fort encore, de son vrai, de sa vérité.

« L’inceste, c’est quoi, c’est pourquoi, c’est où, c’est (avec) qui ? Trouver la réponse à cette question pourrait être un néo-passeport méphistophélique. C’est luciférien. C’est normal. C’est éternel.

« - L’éternité se trouve à notre portée.

« On sait aujourd'hui. Le spermatozoïde d’un arrière-arrière-arrière-etc… grand-père pourra bientôt ensemencer l’ovule de son arrière-arrière-arrière-etc… (ou plutôt future-future-future-etc…) petite-fille. L’ovule d’une arrière-arrière-arrière-etc… grand-mère pourra être bientôt ensemencée par le spermatozoïde de son arrière-arrière-arrière-etc… (ou plutôt futur-futur-futur-etc…) petit-fils.

« L’inceste, donc ? – Une tension temporaire. Du coup, temporale. Une hystérie historique.

« Incester c’est hystériser, c'est histoiriser. Dans le processus d'onanisme régressif, individualisant, d'aujourd'hui, qui rend forcement fou, histoiriser c'est forcement hystériser, c'est forcement incester.

« Pour ne pas parler de cette permanente et atroce baise réciproque de ces deux natures sensiblement apparentées, qui sont le ‘vivre’ et le ‘mourir’, le ‘vivre avec sa mort’ et le ‘mourir avec sa vie’. Plus consubstantiel, plus consanguin, plus co-mortel, plus co-incestueux que ça, impossible !

« Pour ne pas parler, ensuite, de ce que la parole signifie, de ce qu’elle veut dire. Qu’est-ce qu’elle nous fait, la parole, la coquine ? Elle s’insinue dans l’esprit. Elle s'y transforme en devenant un des ‘objets mentaux’ y siégeant. La parole féconde ce foutu esprit. Celui-ci devient un parolier. C’est ça la transmission du savoir et/ou du non-savoir ; en l'occurrence, la culture. C’est de l’exact, c’est du spirituel, c’est de l’immuable. La fécondation par parole, pratiquée naturellement et réciproquement par les parents et leurs enfants, par les frères et leurs sœurs, par les frères et leurs frères, par les sœurs et leurs sœurs, c’est de l’inceste…

« …L’inceste, comme fondement et liant de la civilisation actuelle ! On ne peut pas le contourner ! On ne peut pas lui échapper.

« Pour être civilisé, il faut connaître l’inceste. Il faut incester ! De près. De loin. En quelque sorte. De quelque part. Même de nulle part.

« Être civilisé c’est être incestueux – par les deux bouts.

« Connaître – y compris, voire surtout, l'inceste – c’est être.

  « Il reste à voir qu’est-ce que reconnaître. »

 

 

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6 octobre 2010 3 06 /10 /octobre /2010 06:31

 

Œuf de fou

 

 

« Quelle est la différence entre nous et une maison de fous ? Eux, ils ont une direction lucide ! »

Blague audiovisuelle. 

 

« La folie de l’homme raisonnable est

anatomisée à fond par le clin d’œil du fou. » 

Shakespeare, Comme il vous plaira, II, 7 56-57

 

 

 

II

5

- Qu’est-ce que ça veut dire ?

Au milieu du couloir de la Présidence, la Naine-qui-pue posait son regard sur Ică Glande. Celui-ci, figé, essayait d’éviter le jet pestilentiel et directorial jaillissant des yeux de sa supérieure.

- Je vous attends dans mon bureau, d’ici une demi-heure, fit celle-ci. Il faut qu’on mette de l'ordre dans tout ça. Je ne m’oppose pas à ce que vous emmeniez votre conjointe avec vous. Nous pouvons lui payer le séjour des fonds spéciaux de la Présidence. Je ne m’oppose pas non plus à ce que vous interveniez pour la nouvelle compagne de Stroë. Mais ce n’est pas la peine de la prendre sur votre budget. Nous allons lui payer le voyage aussi. Ça ira comme ça. Vous apportez beaucoup à la maison et en général aux médias français, tous les deux. Stroë et vous. Et aussi à la France. Nous ne nous opposons pas que vous soyez à l’aise, à la radio, chez vous, pendant vos voyages ou n’importe où ailleurs. Néanmoins, je suis Directrice Générale de RFI. Et dans cette qualité, j’aimerais bien savoir quel est l’actuel scénario. À quoi rime tout ça. À quoi on joue, quoi !

- Cela a toujours été comme ça, répondit Ică en cachant son irritation. RFI n’est pas une maison comme les autres, Elle restera ainsi, spéciale, avec vous dedans, mais aussi avec vous dehors, après votre départ. Il ne faut pas rêver. La caisse noire de la Présidence est là juste à cause de ça et, en tout cas, juste pour ça.

- Ce n’est pas le sujet. Le sujet c’est la confrontation entre le Souvenir et l’Oubli. Entre votre femme et l’autre. Vous y conviendrez, ce n’est pas un voyage à l’étranger de la taille et de la nature d’un Sommet de la Francophonie qui soit l’endroit le plus approprié pour une telle confrontation. J’aimerais pourtant savoir où sommes nous au juste avec cette confrontation. Dites, à propos du savoir, vous connaissez mon opinion sur l’intelligence et sur le savoir, n’est-ce pas ?1suivi par 2

Ică confirma d’un mouvement de la tête.

- Mais vous ne connaissez pas la suite : la paix dans l’âme et le journaliste-machin-psychologique.

Silencieux, Ică confirma de nouveau avec une grimace et un léger mouvement de tête : il ne connaissait ni la paix dans l’âme, ni le journaliste-machin-psychologique.

- Venez, alors. Allons sans tarder dans mon bureau. À moins que vous n’ayez une urgence…

Re-grimace et re-mouvement de la tête d’Ică : aucune urgence.

<>

- Voilà, mon cher Glande, dit la Directrice Générale, prenez place ici, dans ce fauteuil. Je vais vous exposer, d’une manière extrêmement succincte, qu’est-ce qu’avoir la paix dans l’âme et qu’est-ce que le journaliste-machin-psychologique. Avoir la paix dans l’âme ? Un beau désir ! Un beau rêve ! Y a pas plus beau ! Depuis toujours ou, enfin, depuis la découverte de l’âme, on tend vers ce but, vers cette limite. C’est ça ! La paix est une limite. Elle n’est que ça, une limite. Notamment, une limite psychologique. Au-delà d’elle, il y a un autre pays, un autre monde, un autre univers. Mais quelle aventure que de changer de pays, de monde, d’univers ! Pour atteindre la paix, il faut l’esprit d’aventure, il faut être un aventurier ! Or cela n’est pas sérieux, mais tragique !

Et ensuite, accablée, ayant abordé un air triste :

- Quant au journaliste-machin-psychologique, vous ne pouvez pas ne pas être au courant. L’homme même n’est, en général, qu’un machin psychologique. Il y a ceux qui disent : « machin, d’accord, mais sublime ; peut-être même divin ». Et alors ? Sublime et divin, mais toujours machin. Aucun marxiste – et qui n’est pas marxiste ou, ce qui revient au même, post-marxiste aujourd’hui ? – ne niera ces faits. Enfin, comme tout machin, le machin psychologique nécessite des révisions et des réparations, tout naturellement. Dans cet ordre d’idées, le journaliste, confronté aux vérités ô combien diverses et souvent contradictoires, pratique un métier beaucoup plus dangereux que l’on ne pense habituellement. S’il ne préserve pas son intégrité psychologique, il empiète sur son métier même. C’est-à-dire, sur l’information. Il diffuse, alors, des informations empiétées. Aussi le public se voit contaminé d’une maladie ineffable et anéantissante, l’impiétation. C’est plus subtil, pervers et menaçant que les simples erreurs et contrevérités. Beaucoup plus.

Pause. Ensuite :

- En tout cas, pour revenir à nos moutons, votre femme et la compagne de Stroë seront prises en charge par nous, par RFI. Mais elles prendront un vol régulier normal pour la Nomadie. Elles vous rejoindront un ou deux jours après votre arrivée en Nomadie. Ou plus tard encore. Ou avant, peut-être. Qui sait ? Cela, l'incertitude, est absolument nécessaire – voir aussi les travaux de Heisenberg –, car nous ne savons pas encore le moment exact de notre départ. Et, entre le départ et l’arrivée, il y a des liens inextricables, vous en êtes conscient, je suppose. Enfin, la Nomadie n’est pas seulement spatiale mais aussi a-spatiale, comme elle est non seulement temporelle, mais aussi a-temporelle. Voilà pourquoi nous ne sommes plus maîtres du moment de départ, ni de celui de l’arrivée. Nous ne sommes plus maîtres des moments, en général ou, si vous préférez, du temps. C’est-à-dire, de l’espace. Ou de quelque chose du genre. Franchement, lisez ce Heisenberg ! Heisenberg, pour son principe de l'incertitude, et Jonas, pour son principe de la responsabilité. Vous allez être émerveillée autant par l'histoire (l'un presque pro-nazi, l'autre au contraire), que par la justesse de leurs pensées respectives tout aussi divergentes que leurs attitudes historiques.

<>

Bien malin celui qui pourra dire ce qui se passa dans les abîmes de la réalité le moment où Rose Pinçon finit son très court exposé. La raison ne peut ni atteindre, ni contenir la vérité cachée qui fit que des Spectres jaillirent dans la pièce. Des Spectres de certains anciens de la maison. Ils étaient menés par un androïde. Tout simplement par un gendarme en jupe.

- Ou, enfin !

Le reste était composé d’anciens personnages qui avaient rempli, lors de leurs passages à RFI, des fonctions diverses, importantes au point de rester mémorables, tel que responsable des placards et de leur confort, ou responsable des non-dits (en plusieurs variantes, dont les plus importantes étaient celles des non-dits informationnels, des non-dits budgétaires, des non-dits masse-salariale), ou responsable des irresponsables, ou... Et tant d’autres.

Les Spectres mimèrent la Mondialisation. Sans hésitation aucune. Ils la mimèrent en tant que discours télévisé. En tant que prestation. En tant que négociation dans le cadre des OMC, GATT, ALENA. En tant que cours-examens universitaires. En tant qu’explication à la maternelle.

Et ainsi de suite.

Le rythme fut terrible.

Rapide.

Soutenu.

Shakespeare et Marx furent ignorés. On en ignore les causes.

L’apparition des Spectres ne dura que quelques nanosecondes. Quatre. Ou neuf. Ou six, peut-être. Peu importe ! Tous disparurent comme ils étaient arrivés.

Ică Glande et Rose Pinçon opinèrent de commun accord que ce qui venait de se passer était d’un mauvais goût avéré.

- Trivial !

- Vulgaire !

C’était tellement simpliste, tellement dégueulasse de faire appel à des sans-poids, à des sans-ombre, à des sans-consistance, à des Spectres ! Et cela, pour un simple caprice :

- Pour exister !

 


1 La Naine-qui-pue était contre l’intelligence.

- Ce qui compte c’est le savoir, disait elle. Un absolvent de l’ENA qui mérite son nom et ses galons c’est quelqu’un qui sait, et non pas quelqu’un qui comprend. Comprendre, c’est-à-dire intelliger, c’est dangereux. On broie la réalité – par la compréhension. Intelliger le monde revient à le rendre fou. Malheureusement, il existe des ceux qui agissent dans ce sens. Des malades ! Ils souffrent d’une névrose de l’intelligence. Ou, à défaut, d’une hernie – de l’intelligence. Comprendre, c’est violer ; notamment le savoir. C’est mortel. Le savoir, le vrai, c’est ne rien comprendre. Le savoir et le comprendre s’excluent réciproquement. C’est ça que d’être un énarque qui honore son nom.

 

2 Une voix inconnue :

« Hé !

« Bêtise ? Absolument ! Et alors ?

« L’existence de la bêtise/sottise et celle de la folie supposent l’existence des réalités qui leur sont appropriées. Des réalités bêtes/sottes et folles. Complètement immergées dans ces réalités au début, la bêtise/sottise et la folie les quittent en tant qu’expression.

« L’intelligence et la bêtise/sottise et d’autant plus la folie (qui se trouve presque toujours à la jonction des deux), sont à la fois réfléchies et instinctives. Le massif humain les contient comme dans un œuf.

« La culture du sot, nécessairement une sottise, voit son existence justifiée au même titre que toute autre culture ! La sottise est tellement complexe, qu’elle exige, à juste titre, une culture spécifique. Chaque culture avec ses sottises ! Voire, avec sa sottise ! Mais aussi, chaque sottise, avec sa culture ! Voire, avec ses cultures !

« Hé !

« La raison d’être de la sottise : sa normalisation, sa banalisation. La sagesse maximum : saisir, maîtriser, savoir, faire-et-dire toutes les banalités.

« Qui dit mieux ?

« Des sottises spéciales – les horreurs, les infamies – se sont banalisées à travers la civilisation citadine : l’inquisition, les partis politiques, les guerres mondiales, le nazisme, le communisme, le terrorisme anonyme, le pouvoir anonyme exercé sur la masse anonyme. On peut parler d’une réelle réussite réelle.

« - Il reste à rendre horrible, infâme la Banalité même.

« Mais, qui aura le courage de s’atteler à une telle tâche ? Serait-il vraiment nécessaire ? Peut-être que la Banalité est déjà corrompue, qu’elle s’est trouvé, déjà et enfin, un sens : ce sens-ci.

« …Et qui faut-il donc faire sortir de son anonymat pour créer une culture anonyme et bête ou folle, dont le Public – ou l’Anonyme – est aussi friand ? L’intellectuel bête ou fou ! ! ! ! ! – Le monde grouille de cette espèce en surnuméraire. – Ils sont tellement gavés de vide, ballonnés d’ennui, ces intellos stupéfiants ! – Tellement anonymes ! !

« Hé ! »

 

 

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5 octobre 2010 2 05 /10 /octobre /2010 07:05

 

Œuf de fou

 

 

« Quelle est la différence entre nous et une maison de fous ? Eux, ils ont une direction lucide ! »

Blague audiovisuelle. 

 

« La folie de l’homme raisonnable est

anatomisée à fond par le clin d’œil du fou. » 

Shakespeare, Comme il vous plaira, II, 7 56-57

 

 



II

4

« La caravane de l’ambassadeur, truffée de technique vidéo et audio, est assez confortable. En tout cas, elle est efficace, même si pas intégralement : elle n’est pas branchée sur RFI.

« - Va savoir pourquoi.

« C’est vrai que, en principe, il n’y en a pas de raison. Une radio, c’est une radio : elle est écoutée parce qu’elle est faite pour ça1. Ce qui se passe dans un média arrive, indéniablement, au public. Enfin, plus ou moins. Parmi les ‘moins’, les conversations plus ou moins informelles portées en off par les personnalités invités au micro avec leurs hôtes, les grands intervieweurs. Or, selon nos services, ce sont ces conversations notamment qui s’avéreraient une source de riches informations. Certes, on ne parle pas impunément aux journalistes – c’est bien connu ! – et le but des personnalités qui le font pour ‘informaliser’ les médias n’est jamais celui déclaré, jamais innocent.

« Je trouve le truc assez compliqué. Mais ce n’est pas le sujet. On ne me demande pas d’interviewer qui que ce soit, ni d’interpréter les conversations enregistrées. On me demande seulement de faire en sorte que ces conversations puissent être enregistrées et envoyées à la base, en Nomadie, au pays. »

<>

« - Où allez-vous installer les livecams ? me demanda l’ambassadeur lorsque je lui fis part de mes intentions.

« - Dans les machines à café, bien sûr. C’est l’endroit le plus fréquenté de la maison.

« - Il y en a combien ?

« - Quatre, ou à peu près. Deux à l’escalier F, deux à C.

« - Ou à peu près?

« Pas du tout ironique, l’ambassadeur ! Il avait l’air de vouloir quitter précipitamment la roulotte où nous parlions aussi paisiblement. Il avait l’air de vouloir prendre le large.

« Je dois me dire et redire que je présente au monde (dont l’ambassadeur en fait partie) une image beaucoup plus élargie que ma réalité, c’est-à-dire moi-même sans image. Pour l’ambassadeur et pour le monde, je suis le mystérieux représentant du ministre sur terre. J’ai des instructions spéciales (donc des pouvoirs spéciaux). Je peux être méchant. Je le suis peut-être.

« En même temps, les choses sont beaucoup plus simples. Mon hôte est l’adepte d’une secte récemment créée, qui prône le suicide cellulaire2.

« - Évidement, il est profondément dépressif.

« Description.

« - C’est pour quand le suicide généralisé des cellules qui vivent en moi ? se demande-t-il sans doute. C’est pour quand ma propre mort décidée ainsi par elles ? Est-ce que ma mort m’accompagne depuis que ma cellule princeps a commencé sa folle multiplication prolongée dans des spécialisations démultiplicantes sublimées en des différentes spiritualisations jusqu’au point de non-retour, le point kamikaze ? Est-ce que ma mort est un suicide quoi que je fasse ?

« La mort de sa femme3a contribué, je crois, d’une manière importante à la ‘déviation’ de l’ambassadeur. D’autre côté, il a sa fille, une personne physiquement potable, qui rêve de partir pour la planète Mars ou au moins pour la Lune. Son désir : être la première terrienne à accoucher dans l’espace et d'avoir, ainsi, des enfants astraux. Son père, le veuf, considère qu’il s’agit d’égarements de jeunesse et que l’avenir de sa fille, l’orpheline, se trouve plutôt dans la diplomatie nomadienne. D’où un intérêt certain pour ma jeune personne. Je pouvais peut-être ‘toucher un mot’ au ministre pour qu’on la nomme en tant que consul des Tribus (si la Nomadie même était encore un trop gros morceau pour l’orpheline). Ou, sinon, je pouvais la prendre auprès de moi (en tant que ‘compagne’ reconnue, et non pas en tant que n-ième concubine temporaire, selon les coutumes nomadiennes) et de fonder avec elle un jeune couple dynamique et rapace, à l’avenir doré.

« C’est plutôt cette dernière variante que mon ambassadeur couve à l’intérieur de son inquiétude cellulaire. Mais la petite n’est pas entièrement à mon goût.

« Ou, encore, il faut voir. »

<>

« Je vois.

« Je la trouve pas mal. Elle me va. Je suis jeune. Il me faut du sexe, c’est clair. Donc, une bille blanche pour le physique. Le problème c’est l’esprit. (Ou quelque chose de ce genre.) Son obsession martienne mise à part, elle est travaillée par une question incessante :

« - Où se trouve le siège de l’attention ?

« Il faut le trouver si on veut avancer. Rien ne peut se faire si l’attention manque à l’appel.

« - On ne peut même pas mourir.

« Par contre, en sa présence, tout devient possible. Y compris la mort. Mieux encore, avec l’attention on peut tout savoir.

« - Même la mort.

« L’agitation paternelle, pour autant, laisse croire que la mort n’est ni à faire, ni à savoir. Mais enfin, ce n’est pas très sûr !

« Or tout ce qui vient d'être dit ne m’arrange pas vraiment, vous comprenez ? La fille de l'ambassadeur prend le temps de concentrer son attention sur l’attention. Moi, par contre, je suis un homme d’action, moi. Regarder l’irregardable n’est pas ma tasse de thé. Je pressens que, si je me laissais embobiner maintenant, plus tard, au fil des années, lorsque l’énergie ‘actionneuse’ baissera, je tomberai sous l’emprise spirituelle de Mômô (le nom de la belle), et ladite Mômô pourra faire de moi ce qu’elle voudra… Or ça, franchement, c’est pas mon genre. »

<>

« Pourtant, de tout évidence, j’ai du bol. Je n’ai peut-être pas l’attention chouchoutée par Mômô, mais j’ai des idées.

« En voilà une : je vais utiliser Mômô pour planter les webcams à l’intérieur des machines à café. Et pour cause. RFI est une institution où l’amour manque cruellement. Il y a des coucheries, certes. Peut-être en excès, même. Des coucheries de tout genre. (Le petit train étant, paraît-il, un spécialité RFI-enne.) Des coucheries, oui, mais pas d’amour. Même ceux qui se sont mis en couple (plus nombreux paraît-il que dans d’autres établissements) ne parlent pas d’amour. Peut-être n’y pensent-ils même pas. Bref, l’amour manque à RFI. Et tout le monde s’en rend compte et en souffre. On peut entendre un peu partout des mots comme quoi RFI n’est pas une entreprise comme les autres, comme quoi elle n’encourage pas l’amour et que la situation devient à peine supportable4. Dans cette situation, la présence d’un couple amoureux, même si elle attire l’attention, réveille une certaine pudeur agrémentée de tendresse, une certaine discrétion joyeuse.

« - Je veux dire que si Mômô et moi nous nous embrassions devant une des machines à café, nous pourrions compter sur un répit, sur un laps de temps où les autres feront un vide protecteur autour de nous.

« - Il faut protéger les tourtereaux !

« J’aurais ainsi le temps d’implanter la livecam dans le entrailles de la machine. »

<>

« Chose faite avec un certain doigté.

« - Je m’en félicite.

« En plus, le goût de la langue de Mômô, je ne vous dis pas !

« J’ai quand même un doute. J’ai cru déceler quelque chose d’étrange à l’intérieur des machines. Entre les rouages assez simples, qui déclenchent le jet d’eau qui traverse le café, le thé ou la poudre de potage et la pluie de sucre, et parmi les files qui témoignent des visites répétées d’autres comme moi, qui avaient branché les machines à d’autres terminaux d’écoute, il y avait un champ spécifique, une espèce de tension flottante et brumeuse, d’aura impalpable à peine sentie, pressentie…

« Et voilà ! Le mot a été lâché ! Le pressentiment ! C’est animique ! Ainsi, Muguette, Muguette Glande (quel nom, mon Dieu !), fait son entrée dans mon existence. À travers le pressentiment.

« Il ne faut pas me demander une explication, une raison pour tout cela. J’ai assez des problèmes tout seul, sans en rajouter celui-ci.

« Je surfe, perché sur une planche nommée destin.

« - Le mien. »

1 On pourrait rétorquer à cela en rappelant que RFI, en tant qu’exception plus ou moins culturelle, mais française, pourrait être une radio faite pour ne pas être écoutée.
2 « Conformément à cette croyance sectaire, les cellules du corps vivant seraient programmées non pas pour vivre, mais pour mourir. Elles mouraient par auto-décomposition, par suicide. Et c’était seulement après, que le ‘produit’ de cette mort aurait été phagocyté par les cellules phagocytaires (devenues nécrophages) ou éliminé par l’excrétion. Mais, comme dirait La Palisse, avant de mourir, ces cellules étaient en vie. Et elles étaient en vie parce que les cellules environnantes leurs envoyaient des signaux spécifiques, prouvant que l'environnement avait besoin des cellules en question, signaux qui suspendaient le processus suicidaire. Par la suite, donc, la créature humaine en vie serait le résultat des milliards et des milliards de micro-, de nano-empêchements du suicide. L’être humain serait un suicide en sursis.
« - Et rien d’autre. »

 

3 « Elle est morte de réalisme magique.
« Explication. – Il existe, dans l’histoire humaine, le réalisme socialiste. Il existe aussi le réalisme capitaliste. Et, entre les deux (en tant que survivant du socialisme et du capitalisme et du judaïsme et du bouddhisme et de l’islamisme et d’autres christianismes, centralismes, libéralismes, mondialismes, dadaïsmes), le réalisme magique.
« -Ça ne correspond et ne sert à rien, bien sûr. »
4 « Spécificité française : ‘je ne supporte pas !’ est entré dans le langage commun. Mais il n’y a pas de suite. Une fois le ‘je ne supporte pas’ dit, ‘je’ supporte très bien tout ce qu’on dit ‘ne pas supporter’. C’est le cas un peu partout dans le monde d’après le Grand Caprice, paraît-il.
« - Notamment en France. »

 

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4 octobre 2010 1 04 /10 /octobre /2010 08:05

 

 

 

 

Œuf de fou

 

 

« Quelle est la différence entre nous et une maison de fous ? Eux, ils ont une direction lucide ! »

Blague audiovisuelle. 

 

« La folie de l’homme raisonnable est

anatomisée à fond par le clin d’œil du fou. » 

Shakespeare, Comme il vous plaira, II, 7 56-57

 

 

 

 

II

 

3

Vêtue d’un simple mais très sexy, beau et fin tablier bleu à plastron, et de chaussures élégantes à talons aiguilles, Gnito (diminutif du nom emprunté pour l’occasion par la belle créature, connue et reconnue paradoxalement par l'appellation officielle d'Incognito) faisait cuire des côtes de porc. Elle exhibait devant Stroë une paire de fesses rondes et fermes, très bien situées, des longues jambes élancées, un dos harmonieux, couvert d'une peau fine et lisse.

Autour d’elle, air et lumière faisait corps commun, étaient une seule et même chose.

Attablé au milieu de la grande cuisine, Stroë, à peine rentré de son travail, sirotait un verre de whisky sans glaçons.

Il regardait sa compagne d’un œil bienveillant. – Celle-ci écarta un peu les jambes.

- Ça te va, la vue ? dit-elle en tendant ses deux bras – dans un joyeux et sado-masochiste élan de crucifixion domestique –, pour sortir le sel, le poivre et les herbes du placard. Tu veux voir plus ? Tu veux voir mieux ?

Stroë émit un grognement de plaisir.

La belle femme tourna la tête vers lui, les yeux verts brillant avec intensité. Sur ses joues rondes à la peau d'abricot, deux fossettes indiquaient qu’elle souriait. Elle était de bonne humeur1. Elle s’approcha de Stroë et prit une gorgée du verre de celui-ci. Ses lèvres rose-pâles jetaient des éclats exquis2.

- Ça peut paraître paradoxal, dit-elle en reprenant de toute évidence une conversation interrompue tout à l’heure, mais le Nirvana n’est que du pur Oubli. Certes, la partie chrétienne de l’homme – de l’humanité ? de l’humain ? – se révolte en entendant cela, mais c’est vrai. Avant d’atteindre le Nirvana, il faut exister ailleurs, dans le non-Nirvana. Avant d’atteindre l’Oubli, il faut exister ailleurs, avec ou, ce qui revient au même, dans le non-Oubli, c’est-à-dire avec ou dans le Souvenir. Tu n’es pas d’accord ?

Sceptique, Stroë tordit légèrement ses lèvres carmin qui contrastaient avec l’ensemble brun-pâle de sa figure rectangulaire et pour l’occasion énorme.

- Tu me regardes comme si tu ne me faisais pas confiance, dit Gnito. Je comprends ça. Je peux comprendre. Mais il faut que tu acceptes une évidence. Nous deux, nous sommes complémentaires. Absolument complémentaires. Non seulement en tant qu’homme et femme irrésistiblement attirés l’un vers l’autre, mais en tant que personnes déficitaires au niveau identitaire. Tu n’as pas de prénom. Tu l’as perdu. Mais ce n'est pas grave. Moi, par contre, je manque de nom. Je n’en ai jamais eu. Et ça c'est grave. Dans ce monde, rien n’existe sans son nom. Chaque être, animé ou inanimé, doit avoir un nom. Le sien. Chacun doit le porter comme on porte un enfant ! Rien n’existe au-delà, au-dehors de son nom. Je veux dire, dans ce monde-ci. Ce qui se trouve ailleurs, dans un autre monde, est trop dangereux. Alors, pour y parvenir, pour conquérir, pour se forger un nom – et c’est ça que je veux en premier, m’affranchir de ma contre-nature matérielle et me forger un vrai nom ! –, pour y parvenir, donc, la meilleure voie n’est autre qu’une carrière dans les médias. T’as pas besoin de qualités « hors du commun » pour t’y frayer un chemin. Tu peux t’y faire un nom, sans rien. Y a tant des journalistes, par exemple, qui n’attirent l’attention de personne, qui baignent dans l’océan d’anonymes, qui augmentent la banalité, la trivialité, l’entropie – tout ça parce qu’ils ont droit à la signature ! Tout çaau nom de leur signature ! C’est dans ce sens que tu deviens mon Sauveur, je te l’ai déjà indiqué clairement. Tu es à la recherche du Grand Larcin et du Mélodrame. Moi, je les mets à tes pieds. Ce n’est pas un sacrifice (je n’en suis pas capable) mais une offrande. Je suis prête à acquérir un nom. Ce n’est pas simple, quand on n’y est pas destiné – et je ne le suis pas –, mais c’est réconfortant.

- Oui, mais ça peut être un crime. Acquérir un nom quand on n’en a pas, c’est-à-dire, en prendre un. De quel droit ? Du seul droit du Crime. Voilà de quel droit ! Voilà le droit ! Je ne sais pas pourquoi je pense à ça, mais…

- Ça c’est l’influence de Dora, ta dernière d’avant le Grand Caprice, dit Gnito en clignant des yeux avec un charme plein d’une malice rancunière. Je te l’ai déjà dit. Elle se trouve quelque part, ici, près de nous, dans le post-caprice. Nous sommes en plein post-caprice. Ce qui ne change rien, à vrai dire. Mais, enfin, histoire de se situer, n’est-ce pas ? Elle est là, et elle est venue te récupérer. Avec son obsession plus que psychiatrique, du Crime. Voire, du Crime Universel. Pour elle, l'Univers n'est qu'un Crime sans Fin.

- Tu as l’air d’être très sûre de ce que tu avances.

- Naturellement. Et j’en ai de bonnes, de très bonnes raisons. Mais je ne peux pas les dévoiler tout de suite. Ne t’en fais pas, pourtant. Ça va venir. Absolument ! Jusque là, contentes-toi de te dire que je suis comme l’Archange Gabriel. Je t’apporte la Nouvelle. Cela d’un côté. De l’autre, dis-toi qu’elle avait parfaitement raison, Dora, là-bas, dans l’avant-caprice. Le Crime Universel attend le moment propice pour attaquer, nous envahir, nous soumettre. Les guerres mondiales se sont avérées insuffisantes. Lilliputiennes. Inappropriées. Des pitres miettes. On n’atteint pas un but de cette taille avec de simples guerres mondiales. Certainement pas. Les guerres restent toujours subordonnées aux idéologies. Le père Tolstoï, avec son incompréhension déclarée, foncière et irrémédiable de la réalité historique, se retournera-t-il dans sa tombe ? Il n’a qu’à ! La guerre est idéologique ou elle n’est pas. Or, l’idéologie, soit-elle passée ou contemporaine, ne permet pas le développement d’un projet de l’envergure du Crime Universel. Pourtant, ce Crime existe, il plane et guette, affamé, sa propre expression, il s’insinue lentement, par des voies dépourvues de sensibilité (tel le système lymphatique de l’homme, le système bancaire de la société, par exemple, ou l’Internet), dans le monde moderne où tout devient possible, s’il ne l’est pas encore…

Stroë sourit avec intelligence et indulgence.

La belle sous-créature de l’horrible et effrayante Barbara – amie fusionnelle de Dora – se montra mortellement sexy !

Une fois le dîner fini, Stroë demanda du regard qu’on lui fasse un petit câlin.

On s’exécuta.

Stroë se retira.

<>

Stroë alluma l’ordinateur mais, avant de reprendre le texte3 là où il l’avait quitté la dernière fois, il nota dans le bloc-notes :

« Elle n’avait pas encore un nom. Lui, il avait perdu son prénom. Elle voulait se forger un nom. Lui, il ne voulait surtout pas retrouver son prénom. Il y avait quelque chose de bizarre, de déséquilibré mais de très bienfaisant en même temps dans cette situation qui n’était pas à la portée de tous. Il croyait toucher, dans cette aventure, au mélange explosif et totalisant du Grand Larcin et du Crime Universel, au nectar et à l’ambroisie extraits de la banalité, de l’informe, de l’anonyme, de ladite ‘unité des contraires’ ».

Et, en laissant une ligne vide :

« Il n’y a pas de tristesse et de nostalgie comparable à celle du Grand Larcin. Le larcin est lié pour moi au vol de poules. Mais le vol de poules, aujourd’hui, ne rime plus à rien. Par contre, l’élevage en batteries de poules et d’autres dindes-porcs, vaches-somons et asticots domine la réalité humaine. La fabrication en série, y compris celle du vivant, nous prive aujourd’hui de quelque chose de très précieux, du larcin. Et, encore plus important, elle nous prive du Grand Larcin. Le larcin est inscrit dans les gènes humains. Il y devint Larcin. On ne le trouve pas ailleurs. Ou, au mieux, dans le monde spirituel, dans le virtuel, voire dans l’impossible.

« Décidément, la vie est moche ! Àpeine supportable !

« Heureusement, il nous reste cette tristesse, cette nostalgie. Ça c’est beau. Ça rend à l’humain sa grandeur. Et la femme se révèle d’un grand secours pour l’homme, dans cette direction. Et vice-versa. Le larcin ne peut subsister aujourd’hui que dans le domaine moral, c’est-à-dire là où agit (ou pas) l’amour. Si ce que certains initiés disent était vrai, comme quoi avant le Grand Caprice j’aurais désiré souiller Dora, je me dis que j’ai raté des choses inoubliables. C’est-à-dire que je les ai oubliées. Quel gâchis ! Quelle horreur ! Oublier ! Oublier quoi ? Ses propres souvenirs. Rien d’autre. On ne peut oublier que ses souvenirs. »

Et puis :

« Ce qui nous manque aujourd’hui c’est le Mélodrame du Larcin. On pleure trop encore à la mort de Mimi, de Violeta ou d’Aïda et de Radâmes. Ce n’est plus supportable ! Il nous faut quelque chose d’autre. La musique des sphères, c’est bien. Mais où est le mélodrame dans cela ? Non. Il faut quelque chose de nouveau, quelque chose d’autre. Mais quoi, je serais incapable de le dire. Je sens le Larcin comme inachevé, et cela me donne de l’espoir. Mais, est-ce que je ne me trompe pas, moi ? Est-ce que le fait de me retrouver enfermé dans le français de RFI au lieu de gambader librement, comme Ică, parmi les languettes des Langues de RFI, n’est pas le symptôme d’un handicap qui ne porte pas (encore) son nom ? (Le nom, toujours le nom4 !) »

 

 


1  Pour la nouvelle arrivée dans la vie de Stroë, être de bonne humeur était une habitude, mais pas encore un tic ou une manie.

- Être de bonne humeur n’est qu’une obligation supplémentaire, dont une femme doit absolument s’acquitter, avait-elle récemment chuchoté avec plaisir et auto-admiration.

 

2 La jeune et belle femme nue sous son tablier et dans ses chaussures à talons hauts, qui faisait cuire des côtes de porc, était, soulignons-le, une des sous-créatures de la très laide Barbara. Naturellement, Barbara se sentait pleinement femme.

- Une femme laide souffre. La souffrance rend vrai. Surtout lorsqu’il s’agit d’une femme. La femme, si elle veut être vraie, doit nécessairement être laide ! affirmait-elle assez souvent.

Pourtant, comme on vient de le voir, via ses sous-créatures, Barbara n’était pas hostile à la bonne humeur. Habituellement, elle vaquait dans le pré-caprice. Mais ce n’était pas toujours le cas. Aujourd'hui, non plus. Elle gambadait, maintenant, dans la cuisine où, en épousant les formes splendides de la souriante Incognito, on préparait des côtes de porc et où on sirotait du whisky... Nue sous son tablier et dans ses chaussures à talons hauts, faisant cuire les côtes, la nouvelle compagne de Stroë n’était pas épouvantable, comme la plupart des sous-créatures de la grande et horrible Barbara. Incognito, Gnito pour les intimes, était splendide. Elle paraissait sortie directement d’une BD coquine pour le plus grand public possible.

- Pour le public énorme !

 

3 Stroë travaillait à un essai – titre préconisé : « Le journaliste et la banalité » – soutenant que la principale qualité du journaliste était la banalité foncière, figée dans ou par des « redits moraux », capable seulement d’enregistrer et de rendre, mais pas de faire la part du vrai et du faux et surtout pas d’imaginer ou de créer. Le vrai journaliste, pratiquant un métier « de liberté », ne devait pas être libre. Il devait suivre « la réalité » (la seule ayant le droit d’être libre dans ce capharnaüm par elle même créé), en attendant que celle-ci le délivre de son manque de liberté.

- Pour le journaliste, décidément, la liberté arrive uniquement de l’extérieur.

 

4 Approximation explicative.

  Dans le noir absolu – lors d’un tel noir – personne n’a d’ombre. Tout le monde en a conscience. Pourquoi n’existerait-il pas, donc, des hommes sans nom (ou sans prénom) ? Le nom (ou le prénom) n’est que l’ombre ou, plutôt, la pénombre de la personne. Alors ? C’est comme si on extrayait le subtil du grossier, le grand du petit, l’exceptionnel du banal…, l’immortel du mortel, le nom du sans-nom et la forme du sans-forme…

  Stroë se sentait attiré, happé, avalé, digéré – étroné et déféqué ! – par l’unité, par le Un-seul, par le Un-total ; c’était pour ça qu’il parlait une seule et unique langue, le français.

  - Et encore !

  C’était pour ça qu’il se laissait envoûter par l’inconnu – ou par le mystère ! – total que Gnito, ayant à peine atterri dans sa vie, représentait avec tellement d’aplomb, d’une manière aussi prégnante. C’était pour ça que Muguette, comme on aura encore l’occasion de s’apercevoir, les craignait autant, « lui, et sa putain », coquetant tous les deux, chacun de son côté, avec l’Un et avec l’Oubli. Il sortait du commun. Il frôlait l’inconnu. Ce n’était pas banal, comme un vrai journaliste. Il trouvait ça embêtant. Cette réalité l’énervait :

- L’exceptionnel est toujours défini par rapport à l’habituel, au banal, plus exactement au banal spécifique à l’exceptionnel en question. On peut même dire que tout exceptionnel est structuré par son propre banal. Aussi manque-t-il de pureté, l’exceptionnel. Il est pollué, miné par son propre banal. Il ne peut pas être exceptionnel, l’exceptionnel. Ni banal – le banal. Ils sont d’extraction réciproque, le banal et l’exceptionnel. Rien de plus banal que l’exceptionnel, rien de plus exceptionnel que le banal ! Cette éclosion du paradoxe devient emblématique pour notre temps post ou, mieux encore, trans-capricial… C’est pour ça que nous, ma superbe Gnito, et moi-même, nous n’aurons pas d’enfants, en tout cas, pas d’enfants réels, mais des virtuels seulement ; des enfants qui tantôt existeront, tantôt disparaîtront ; pour ainsi dire, des intermittents…, comme les intermittentes du spectacle, assimilés poétiquement aux ampoules de la Tour Eiffel, qui, dans la même seconde, au même instant, clignotent, éclatent et brillent ou ne clignotent, n’éclatent et ne brillent pas… – C’est une manière de vivre le miracle !

 

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3 octobre 2010 7 03 /10 /octobre /2010 07:22

 

Œuf de fou

 

 

« Quelle est la différence entre nous et une maison de fous ? Eux, ils ont une direction lucide ! »

Blague audiovisuelle. 

 

« La folie de l’homme raisonnable est

anatomisée à fond par le clin d’œil du fou. » 

Shakespeare, Comme il vous plaira, II, 7 56-57

 II

 2

- Oui, c’est c’la ! dit Ică Glande en s’adressant à Muguette, sa femme.

Assise dans son fauteuil en velours beige à reflets arc-en-ciel, celle-ci dévisageait avec beaucoup d’attention rancunière son mari affalé – mufle ! – sur le canapé revêtu du même tissu que le fauteuil. Elle était comme toujours, belle et irritée, à l’affût de la moindre raison de s'hystériser1. Elle aurait aimé changer son état actuel contre celui de naguère, contre son ancienne maladie, d’avant le Grand Caprice2 Elle aurait préféré mille fois son ancienne souffrance que l’actuelle pression interne. La pression de ses pressentiments – sorte de souvenirs détournés, rendus pervers. Par le passé ses seins, par le présent ses pressentiments la ballonnaient3 pas mal. – Il y avait risque d’explosion !

- Tu ne vas pas soutenir, pourtant, que t’as oublié de me le dire ! fit Muguette avec reproche. Quand même, partir ainsi, avec une inconnue, au bout du monde…

- C’est pas au bout du monde. C’est juste là, à côté, répliqua Ică.

- Àcôté, peut-être. Mais c’est quand même au bout du monde. Tu ne vas pas me dire maintenant que ce n’est pas au bout du monde ! Tu ne vas pas me dire ça à moi ! Tu ne vas pas me dire que t’as oublié !

Ică secoua sa tête massive en signe de sage détresse.

- Si, dit-il. J’ai oublié !

- Malgré tes célèbres mémoires !

- Hélas, oui !

- Tu vois ? !

La voix de Muguette avait prit des inflexions graves, « de soir ».

- Il faut absolument qu’on mette sur pied la cellule d’aide psychologique. Je t’en ai parlé l’autre fois. C’est clair comme l’eau de roche, c’est évident comme la lumière du jour, c'est obligatoire comme les rêves divins de l'enfant. Je pense que c’est une idée plus que d’actualité. Non seulement la bonne marche du monde en dépend, mais surtout la bonne marche de RFI. Et celle de notre ménage, avec. Dans ces conditions-ci, presque sinistres, dans le creux d’après le Grand Caprice, où nous sommes obligés d’évoluer !

- Tu parles du fait que je soit devenu dépendant de mes mémoires, dit Ică avec un faux air respectueux.

Il cachait son agacement et son mépris.

- Ce n’est pas de la drogue, pourtant !

<>

Muguette changea ensuite de sujet.

- Cela étant, tu crois vraiment à ce que dit ce Stroë ? Tu ne vois pas le danger ?

- Quel danger ?

- C’est qui la salope ?

- Je n’en sais rien, strictement rien. Je rends un service à Stroë. C’est tout. S’il aime la sauter, pourquoi pas ?

- Sur ton budget ! Il la saute sur ton budget. Tu trouves ça normal ? Je ne vois pas vraiment la raison. Sauf s’il y a autre chose. Car il y a autre chose, n’est-ce pas ? Dis ! Autre chose, n’est-ce pas ?

Muguette était, de toute évidence, très suspicieuse4.

- Ce n’est pas que je voudrais t’instrumentaliser, reprit-elle après quelques secondes de réflexion, tout en dévisageant avec une certaine haine le mâle d’en face, son mari. Encore que, quoi de plus légitime que d’instrumentaliser son époux ? Mais, non. Ce n’est pas le cas. Je crois sincèrement que l’aide des psys, de plusieurs, d’un bataillon de psys est absolument nécessaire à RFI. C’est très contemporain, ça. Et il ne faut pas qu’un grand média, comme RFI, rate le rendez-vous avec – comment dire ? Comment éviter le barbarisme –, avec la contemporainéité.

Muguette inspira. Ensuite, comme pressée intérieurement d’un pressentiment inédit mais cohérent :

- Je vais te demander un moment de grande attention affûtée, aiguë. Il s’agit d’une intrigue encore plus complexe que le nœud gordien. Néanmoins, comme il n’y qu’un seul Alexandre le Grand dans le monde, et forcement pas à RFI ; comme la Révolution Mondiale est, quant à elle, pour beaucoup plus tard sinon pour jamais (car la Mondialisation est sur le point de l’achever, n’est-ce pas ?) ; comme la lâcheté de nos contemporains gâtés par leurs sociétés démocratiques (car riches) où le vote est libre et du coup inutile, peut devenir dominante ; bref, comme tout ça – le retour aux sources s’impose. Et quoi de plus à la source pour un humain que sa propre psychologie, son propre psy ? Voilà ce que je voulais dire. Comme, de surcroît, le KGB est éliminé de la course historique, et que la DST, la DGSE et autres Mossad et FBI-CIA deviennent par conséquent victimes de leur succès qui les singularise et hypertrophie jusqu'à une dégoûtante obésité créatrice de fausses alertes justificatives, l'aide psychologique s’impose et prend le relais de tout ça, de tout ce pitre bazar. Elle ramène les choses à des dimensions humaines, je veux dire, non pas mondiales (ce serait trivial, inélégant) mais (vaporeuses, éthérées) universelles, à des dimensions beaucoup plus appropriées à notre civilisation où les guerres mondiales et totales demandent à être bannies et honnies.

Une petite pause encore et Muguette finit comme suit :

- La psychologie de tout un chacun doit être bien définie, donc contrôlée. Surtout celle des journalistes qui, eux, doivent avoir affaire au connu, exclusivement. Or, il n’est pas facile de se priver d’inconnu. D’autant plus lorsqu’il loge en soi-même. Il doit être dénoncé et rendu au monde, l’inconnu. Il doit être connu. Ensuite, on pourra même lui donner une direction, le diriger. Ce qui est d’ailleurs le but même de l’opération. Et toi, mon cher, tu es très bien placé pour pousser les choses dans ce sens. Tu n’es pas dans la situation de ton copain, de ton Stroë. Oui, lui ! Avec son manque de prénom !

La haine de Muguette paraissait aujourd’hui plus forte que jamais.

 

 

1 Se fâcher, protester, crier, condamner, pester, se victimiser, se venger. C’était sa manière de s’imposer. Espèce de Xanthippe plus que contemporaine, de Xanthippe à venir, elle était plus que sûre et certaine de ce qu’elle pressentait.

  Cela la fatiguait.

 

2 C’était une maladie livresque. C’était ce qu’on lui avait dit, à l’époque. À l’époque, la femme se remplissait de seins. Elle était toujours blonde et digne, comme aujourd’hui. Une harpie agitement active. Mais, en plus, ses seins poussaient, s’effaçaient ou se creusaient sans cesse, tantôt sur sa poitrine, tantôt entre ses omoplates, sur ses joues, au bout de ses doigts ou entre ses dents ou orteils, derrière une oreille, sur la plante de ses pieds, sur la langue, aux bords de ses narines…

 

3 Cette histoire de seins et ballonnement vaut deux petits détours.

  D’abord, un aperçu de Dora et de Barbara.Dora, là-bas, dans le pré-caprice, était une femme ultra-splendide aux seins qui promettaient de devenir semi-liquides. Elle était mariée et avait un certain nombre d’enfants asexués et cyclopes (il s’agissait des enfants gardés, à cette époque, par Zakharias Cocâltãu ; des enfants abrités aujourd'hui, selon Ică, par Stroë dans ses chairs secrètes).

  - Tout ça là-bas, avant le Grand Caprice.

  Toujours là-bas, Dora se faisait accompagner par sa grande, très privée et particulière amie, Barbara.

  - Toujours.

  Celle-ci était fortement laide. Elle était composée de moult sous-Barbara.

  - Tout cela, bien entendu, lors des moments présents du passé.

  Barbara était, disait-on, l’incarnation, l’incorporation du dicton selon lequel il fallait se méfier du passé, tellement il était imprévisible.

  - Aussi, la Muguette d’aujourd’hui ressentait la Barbara d’hier.

  À l’époque, Dora, la méga-merveilleuse, se déclarait prête pour le sacrifice. Barbara, son amie « diamétrale », l’hyper-laide, l’admirait beaucoup. Elle l’avait épaulée dans ses démarches entreprises afin de bloquer (ou détourner) l’arrivée du Grand Caprice. Pourtant, elles n’avaient pas pu empêcher celui-ci de tsunamiser le monde.

  Cela étant, c’est délicat les seins.

<>

Ensuite, pour ceux qui auraient le temps et la curiosité de regarder un peu plus vers l’insondable du sujet, vers l’abîme du problème des seins, voilà le deuxième détour.

- Cela s’est passé dans la gare de Châteauroux.

On dirait qu’il n’y a rien qui puisse se passer dans cette gare. Et pourtant…

Paule se trouvait sur le quai de cette gare. Elle attendait le train provenant de Port-Bou, qui allait l’emmener à Paris. Elle avait décidé de prendre un peu de distance, d’aller dans la capitale, d’y respirer l’air de l’anonymat, de l’histoire, de la politique et du tourisme.

- Aux pieds de la Tour Eiffel on est à la fois personne et quelqu’un.

C’est difficile d’expliquer, mais c’est ainsi que Paule ressentait, elle, les choses depuis qu’elle s’était posée la question embarrassante concernant la raison qui gouvernait sa vie, la raison de sa vie. Elle avait dix-neuf ans et elle trouvait que son existence n’avait pas de sens, qu'elle n’en avait jamais eu, et qu'elle n’en aurait jamais « dans le siècles des siècles ». Pour elle, tout s’est terminé avec et dans ses seins. Comme dans un cul de sac. En fait, ils avaient grandi démesurément, ses seins. Elle avait aujourd’hui des mamelles géantes. De vraies pastèques. Les hommes la regardaient non pas comme Paule, mais tout simplement comme des seins attachés à quelque chose à la rigueur baisable. Et rien d’autre.

- La baise.

Ils ne regardaient que très fugitivement les hanches, les fesses, les cuisses, les bras ou le dos de Paule. Pour ne pas parler de ses joues, de sa bouche et de son nez ou de ses cheveux. Quant à ses yeux, les hommes évitaient, avec une obstination instinctive, de rencontrer leur regard. Ils ne voulaient pas d’une Paule humaine. Ils voulait baiser et non pas la baiser. Impossible donc de penser à la tendresse, aux câlins et, d’autant moins, à l’amour.

Les femmes, à leur tour, animées par une sensibilité spécifique, la considéraient aujourd'hui avec une supériorité certaine. Pendant l’adolescence, beaucoup furent celles qui lui enviassent « les balcons » aussi généreux – tandis qu’elles-mêmes peinaient de sortir du minus ou du stade de planche à repasser. Mais cela n’a duré que trop peu. Ses « protubérances » ont vite progressé en passant de la dimension d’une prune à celle d’une pomme, d’une orange, d’un pomélo, d’une noix de coco, pour finir dans leur contour actuel, de pastèque.

- Ils doivent atteindre cinq kilos chacun, si seulement on pouvait les peser…, se disait Paule dans les moments (rares) de « narcissisme critique » ou lorsqu’elle se faisait caresser les seins, debout ou couchée, avant que l’animal qui dort en chaque mâle ne la brutalise et coince pour la pénétrer et la secouer jusqu’à l’éclatement.

- Je serais plus légère de dix kilos si je pouvais les enlever, disait-elle encore.

Debout, couchée sur son dos, à quatre pattes, elle sentait la masse de ses seins, leur lourdeur. La pesanteur passait par là, par ses seins, et rendait Paule matérielle dans le sens plus que concret, abject du terme.

Le train de Paris en provenance de Port-Bou avait du retard.

Sur le quai il y avait assez peu de monde. Paule aperçu un jeune homme qui la regardait.

Et c’est parti !

- Il a posé le même regard porcin sur moi que tous les autres. Mais ensuite il a rencontré mon regard. Et quelque chose a changé, d’une manière saisissante, je dirais même alarmante, dans son expression. Qu’est-ce qu’il a pu voir dans mes yeux, pour qu’il change ainsi ? Je le hais. Je le hais pour ce qu’il a compris de moi. Évidemment, je suis perverse. L’obscénité ténébreuse, la saleté, l’envie idiote et méchante, le mépris miséricordieux décelé dans le regard des autres ne me suffisent pas. Et pourquoi cela ? Parce que je suis différente de tout ce qui existe dans ce monde. Personne n’a de tels lolos. Personne n’a ce problème. Personne n’est comme moi. Et moi, moi je suis comme personne. J’ai la conviction que j’ai joué moi-même un rôle important dans ma réalisation physique. Inconsciemment, soit, mais activement. Je veux dire que mon corps est, certes, le résultat de l’action de toutes sortes de forces, biologiques et héréditaires, astrales et létales, minérales, végétales et animales qui accompagnent l’Homuncule, mais qu’il est aussi le résultat de mes forces à moi, de mes forces individuelles, personnelles, de ma personnalité. – Quelle mouche m’a piquée alors pour m’auto-coller de tels balcons ? Et quid de ma personnalité ? Qui en est responsable ? Je sens la stupidité et la folie rôdant autour de moi. Elles s’emparent de moi par absorption mais aussi par infiltration. Je me dissous dans, tout en étant dissoute par. Je ramène tout à mes « tumeurs ». J’anéantis l’univers pour le « maméliser ». Les grands problèmes du monde ? Je m’en fiche pas mal ! Mes lolos me suffisent. L’explosion démographique, la pollution, le déchaînement génétique, la conquête cosmique, le danger astral, de la foutaise ! Mes lolos ! Mes lolos ! Mes lolos ! – Mes lolos me suffisent.

Vraiment, c’est délicat les seins.

- Franchement !

 

 

4 Et pour cause. Dans le passé, Ică fut un roc de santé insensible. À présent, par contre, une fois le Grand Caprice traversé, transgressé, ses mémoires le faisaient souffrir. C’était qu’il en possédait plusieurs. C’était qu’il en possédait trop. Il ne s’agissait plus d’une mémoire « naturelle », organique… C’est à cette qualité étrange, d’ailleurs, qu’il devait son poste de Directeur des Langues de RFI.

- Lui, le super-exilé de et par le Grand Caprice.

Lui, le migré, l’émigré, l’immigré, chapeautait « les métèques » des Langues, tous des migrés, émigrés, immigrés, traumatisés, d’une manière ou d’une autre, tous, et pas très dignes de confiance, tous… Lui aussi, d’ailleurs, il se sentait traumatisé :

- Chaque mémoire, la mienne comprise, est une qualité du Moi, se plaignait-il lorsque des vapeurs d’alcool créaient des nuages de sincérité à l’intérieur de sa calotte crânienne. La mémoire n’est pas seulement un dépôt de souvenirs, de passif, d’inertie. La mémoire, la mienne comprise, est activée par le Moi, en apparence. En apparence, car ce qui est activé, en réalité, c’est le Moi-même. Je veux dire par cela que la mémoire est une condition nécessaire mais pas suffisante pour la définition du Moi. Le Moi n’existe qu’en présence de sa mémoire, et vice versa ! Le Moi et sa mémoire se cavernisent l’un l’autre.

Ses mémoires le torturaient, le dépeçaient. Elles s’avéraient autonomes et impersonnelles. Les souvenirs malmenés par ces mémoires étaient comme des ombres, comme des morts ambulants. Des zombies. Il n’y avait plus personne, plus rien dedans. Ses mémoires condensaient les temps. Parfois, elles le vidaient. Ce qui lui manquait toujours c’était la mémoire atemporelle, la mémoire de sa personne, la mémoire personnelle.

Les machines à café rappellent qu’il disait parfois :

- Il existe un temps des médias. Un temps médiatique. Un temps qui nous place, nous autres, en dehors du temps. Au mieux, à côté de lui ou, très rarement, à ses côtés !

Les machines à café étaient désemparées. Or cela, franchement, ne pouvait ne pas poser des problèmes par la suite.

 

 

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2 octobre 2010 6 02 /10 /octobre /2010 00:34

 

 

Œuf de fou

 

 

« Quelle est la différence entre nous et une maison de fous ? Eux, ils ont une direction lucide ! »

Blague audiovisuelle. 

 

« La folie de l’homme raisonnable est

anatomisée à fond par le clin d’œil du fou. » 

Shakespeare, Comme il vous plaira, II, 7 56-57

 

 

 

 

II

1

 

« On m’a donné ma chance. Depuis un petit moment, je suis le secrétaire particulier du ministre. C’est un travail de rêve. La preuve : la mission qu’on m’a confié maintenant. Très confidentielle.

« - Donc, illégale.

« Une mission qui m’amène à Paris.

« - Dans cette ville-lumière que non seulement tout nomadien mais toute personne civilisée (ou en cours de) rêve de voir un jour.

« Mon patron, Manele Nicolâyë, occupe actuellement le fauteuil des Affaires Étrangères et des Tribus de la Nomadie. Auparavant, lorsque l’actuelle opposition était au pouvoir, il fut ministre de la Culture et du Passé1. C’est à ces temps que remontent les liens privilégiés noués avec son homologue français de l’époque, le ministre de la Culture à Vie2. Liens précieux, peut être, pour le travail qui m’a été confié maintenant. En tout cas, dans leurs têtes culturo-ministerieles respectives, l'idée de devenir des Présidentes de leurs Républiques respectives (eh, bien, la Nomadie est elle aussi un république ; la France n'en détient pas le monopole, comme disait l'autre), cette idée donc était toujours présente. Même lorsqu'ils se rasaient ou pas, le matin3.

« Il est l'auteur d'un ouvrage très nomadisé consacré au caractères dorique, corinthien et ionien de l'esprit nomadien culturoïde traduit dans les actes culturophages, voire culturocides, propres à la Nomadie.

La Nomadie n'a pas un culture dans le propre du terme. Elle n'a pas une culture comme toutes les autres, c'est à dire, capable d'inventer des illusions destinées à devenir des repères. Par contre, elle métabolise la culture des autres. Elle a une bizarre capacité de consommer les cultures des autres et de les transmuer en déjections.

« Mais ce n’est pas le sujet. Le sujet c’est que je ne me sens pas à l’aise. Et c’est un euphémisme. Le moment est difficile. Pesant. Le contact, même indirect, avec ceux de la rédaction en langue méconnue rend fou. Déjà être nomadien n’est pas une entreprise trop simple, mais avoir affaire à des telles réalités, c’est trop pour un mortel.

<>

« Ce sont des spectres ! C’est comme l’image reflétée par un miroir qui reflète l’image reflétée par un miroir qui reflète l’image reflétée par un miroir qui reflète… et ainsi de suite. Il y a, je veux dire, quelque chose, un résidu de vrai – à la fin.

« - Mais jusque là…

<>

« Jusque là, je tapote et enregistre sur mon ordinateur ces quelques notes-portraits de ces parleurs de la langue méconnue. On ne me l'a pas encore demandé, mais je sais que certains de ces connaisseur en langue méconnue auront à jouer un rôle dans l'avenir proche.

«  De toute façon, je n'ai pas grand chose à faire autre, au présent. Au pire, je (me) construis un témoin silencieux, capable d’enregistrer mes performances. Sans pour autant rendre des comptes à personne.

« - De sorte que, s’il m’arrivait quelque chose, ce qui est loin d’être improbable – il nous arrive toujours une chose ou une autre, quelque chose, que l’on veuille ou/et (surtout ?) pas –, de sorte que l’on sache, donc, lorsqu’il m’arrivera quelque chose, le quoi, le pourquoi et le comment de la chose. »

<>

« Le premier qui me vient sur les touches du clavier de mon ordinateur c’est un homme de taille moyenne vers petite. Il a une tête ronde et des bourses de peau sous la mâchoire. C’est un rongeur tout aussi prêt de s’enfuir que d’attaquer4. On dirait qu’il vit au nom du rien. En tout cas, il a l’air d’un fonctionnaire appliqué, lui. Son dos voûté et sa serviette galeuse y sont pour quelque chose.

« Le suivant est grand, avec une tête de cafard. Il a décroché, Dieu sait quand et comment, un contrat chez un célèbre éditeur de cours des langues, pour publier un cours audiovisuel de langue méconnue, basé sur une méthode inconnue. Chose valable encore aujourd’hui ; c’est à dire que le cours n’a jamais été rendu public – c’est ainsi qu’on a préservé l’inconnu de la méthode, c’est ainsi qu’on a rendu la langue méconnue encore plus profonde et riche du point de vue méconnaissable5.

« La seule femme de cette rédaction est une blondasse d’un certain âge. Pute jusqu’à l’os. Jusqu’à la moelle.

« - Cytoplasmique.

« Elle s’habille parfois ‘en gouttière’. Notamment avec des blouses, vestes, jupes, robes, parkas et pantalons brillant comme le zinc des gouttières. En rouge flamboyant, parfois. Parfois en noir aveuglant et en or éblouissant. Elle s’ennuie affreusement et tremble à l’idée qu’elle pourrait être attrapée par la mort6. Veuve, elle a hérité pas mal d’argent. Mais elle tient à être active. Dans sa conception cela veut dire être journaliste.

« - Elle est très talentueuse dans la pratique du tissu en soie – de préférence bordeaux ou turquoise – enfoncé dans le cul du partenaire, qu’on fait sortir lentement pendant. L’odeur et le goût de ce tissu, cette odeur et ce goût, la font se pâmer.

« Le suivant c’est quelqu’un qui est l’appendice de son propre nez. D’une homosexualité très banale et ennuyeuse, il est d’une origine plus que modeste et il affiche un regard dur, d’orphelin maltraité lors des viols fréquents, peut-être même permanents7. Il affirme, que, à l’instar des légionnaires folkloriques, il aurait baisé des chèvres… Il craint sauvagement les courants d’air. Il se lave une fois par mois, peut-être même pas.

« Le poète, ensuite. Un visionnaire. Il est rongé par une extension de sa calvitie, qui le rend chauve de tout autre attribut humain8.

« Le réalisateur des films, après. Celui-ci est refusé par tout producteur qui veut survivre9. Il a vu ses cordes vocales envahies dernièrement par des milliers des petits polypes douloureux, chacun s’exprimant d’une manière particulière, ce qui, finalement, donne une cacophonie parfaite qui passe à merveille au micro spécifique des émissions en langue méconnue.

« Le cacophone a comme ami, membre de la même rédaction, une espèce de bâton à qui on a entaillé à un de ses bouts des dents, des oreilles et des yeux de lapin, et à l’autre une tronche lombricoïde. Transpirant de la bêtise à l’état pur, en manque de tout repère moral et de personnalité, ce dernier offre à son ami, le réalisateur cacophone, sa propre femme, pour que son ami leur fasse, à tous les deux, à sa femme et à lui (et tant pis pour la sémantique et pour le sens !), des enfants tout aussi cacophones, dépourvus de talent et surtout de caractère que le géniteur-réalisateur-cacophone même10.

« Enfin, le chef de la rédaction en langue méconnue. Un roquet qui vide deux bouteilles de whisky bon marché par jour et qui fume pendant tout ce temps sans discontinuer11. Mal rasé la plupart du temps, il cache une éruption bubonique. Il s’est vu retirer l’œsophage, l’estomac et les deux intestins, suite à un cancer ; son rectum a été étiré et attaché au pharynx.

« - Aujourd’hui, entre le moment où il ingurgite et celui où il chie il n’y a aucune durée.

« Il mange et chie en même temps. »

<>

« En parallèle, je dois m’occuper d’une certaine Muguette Glande (pour un nom, s'en est un !) et de son mari, Ică, le patron des Langues de RFI. Ainsi que d'un certain Stroë, toujours de RFI.

« Dans la caravane de notre ambassade à Paris12 je réfléchi à tout ça, en essayant de maîtriser mes accès de haine, de furie mais aussi ceux de tendresse, douceur et autres pulsions crétinisantes, de trouver ma propre voie, de me faufiler parmi tous les pièges, embuscades ou guets-apens imaginés par les services spéciaux de tant de pays qui se confrontent en se heurtant ou en s’imbriquant dans cette merveilleuse ville-lumière, Paris. »

 


1 « Sa performance a été dépassée uniquement par un ministre français, qui, a occupé non seulement le poste de ministre de la culture ou celui des affaires extérieures, mais aussi celui de la santé. Ce qui laisse songeur celui qui a le temps de réfléchir à qu'est-ce qu'un ministre et à comment arrive-t-il en être... un. Ou plusieurs. »

 

2 « Une exception culturelle française, certes.

« - Encore une. »

 

3 « D’une certaine manière, ils sont une sorte de Barbara au masculin. Voir l'exégèse parue avant le Grand Caprice, consacrée à Barbara et à ce que cela veut dire. – Ou, à défaut, saisir le moment où on reviendra, même si sommairement, sur le sujet. »

4 « Il a une femme tout aussi myope que lui, qui fait du baby-sitting, du ménage et qui partage sans discontinuité le lit de son rat, en écartant ses cuisses à la commande et en préparant des plats absolument oubliables. Elle peint, pendant ses longs moments de solitude, des choses inachetables, voire imontrables. Quant à lui, il écrit des textes éducatifs qu’il présente comme des pièces de théâtre subventionnables. »

 

5 « Il méprise profondément tous ses camarades, ses collègues, le monde, Dieu – au profit de soi-même. Il est marié à quelque chose d’hydrocéphale, qui gagne huit fois plus que lui en trafiquant sur Internet des traductions en langues connues ; ce qui apporte au ménage une stabilité financière enviable et à lui-même, avec sa tête de cafard narcissique, un calme avoisinant l’insouciance des cancres dépourvus de toute utilité. »

6 « Elle s’entête à occuper un poste à RFI. Elle ne donne pas leur chance aux dizaines des dizaines de malins qui font le siège de la rédaction, qui estiment avoir découvert l’endroit idéal où ils pourraient afficher, dérouler, nourrir, arroser et faire épanouir toutes leurs incompétences. »

 

7«  « Il donne l’impression d’avoir été recruté, dans sa jeunesse, dans son enfance – voire avant – par des services de renseignements étrangers. Il se fixe comme repère la capacité de compréhension de sa pauvre mère et décrète qu’une émission est bonne si et seulement si sa mère, d’origine encore plus modeste que la sienne, pouvait la comprendre. – Cela étant, il fabrique des émissions pour la jeunesse. Il s’entoure toujours par des jeunes éphèbes de sa race. »

 

8 « Il lui reste l’essence de ce qui est le plus soupçonneux, narcissique, porno et parano dans le poétique. Il aime les jeunes filles inexpérimentées. Il aime les ensemencer et se faire quitter par elles. Il trouve que la souffrance infligée par ces exemplaires humains féminins prouve que ses propres qualités, qui l'altérise en le laissant en contact avec Dieu seul, sont véritablement poétiques. Il est maudit.

« - Un, cas unique.

« - Unique, car un.

« - Poète. »

 

9 « De temps en temps, il réussit, néanmoins, à ruiner des petites maisons de production ou des troupes d’artistes de la rue, notamment des 'intermittents du spectacle'. « Les susdits intermittents du spectacle sont une sous-race française en voie de développement galopante à qui, parmi d’autres, on doit la fameuse exception culturelle française.

« - La chose ne peut pas être dite à haute voix ; d’où sa présence dans cette simple note. »

 

10 « Je me demande, pourtant, comment faisait-il, le cacophone, car, à l’occasion d’un procès de paternité qu’il a eu à un moment donné dans sa vie, il a fourni trois attestations médicales comme quoi il serait stérile. »

 

11 « Il est super terriblement maigre, presque transparent. (Il avale une fois par jour le même sandwich enveloppé dans du papier alu, et la même canette de bière. Il affirme ne pas être radin mais seulement sage.) Il se considère intégré à la classe dirigeante, politique, dont les composantes estiment partout dans le monde que leur existence mérite être consignée au moins dans des livres biographiques sinon dans des romans. »

12 « Paris, grande capitale du monde. C’est pour ça que je peux parler d’une caravane. Ailleurs, nous n’avons que des roulottes, des petites remorques, des poussettes, des vélos ou même rien ; je veux dire, comme ambassade. »

 

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1 octobre 2010 5 01 /10 /octobre /2010 06:51

 

 

Œuf de fou

 

 

« Quelle est la différence entre nous et une maison de fous ? Eux, ils ont une direction lucide ! »

Blague audiovisuelle. 

 

« La folie de l’homme raisonnable est

anatomisée à fond par le clin d’œil du fou. » 

Shakespeare, Comme il vous plaira, II, 7 56-57

 

 

 

Distorsion

(Dires des quelconques machines à café,

de RFI ou d’ailleurs,

des machines à café de la mondialisation et du terrorisme)

 

Toutes les études stipulent que le chaos ne peut être qu’extérieur. Dès qu’il est placé à l’intérieur, il est contenu, c’est-à-dire maîtrisé, donc cohérent. D’ici lui trouver des vertus constructives il n’y a qu’un pas.

- L’idée est terrorisante.

Et le pas, facile à franchir.

- D’ailleurs, il a été déjà franchi.

Semer le chaos au nom de l’ordre ! Voilà qui est devenu l’idée phare de la contemporanéité.

La globalisation, alias mondialisation :

- Du chaos pacifique.

Le terrorisme de masse, qui s’y oppose :

- Du chaos violent.

Aucun d'entre eux ne dépasse les limites du chaos.

- Au nom de l’ordre !

Et la place de RFI dans tout ça ? Qu’est-ce que RFI a à foutre dedans ?

La réponse habituelle est induite – bourrée ! – d’histoire. Notamment, RFI hériterait de la Radio Coloniale. – D’où la question :

- Qu’est-ce qu’une colonie ?

Nous ne sommes pas capable d’y répondre. Nous ne sommes que des machines à café de la mondialisation et du terrorisme.

Déjà la mondialisation et le terrorisme nous tracassent et nous accablent.

- Le colonialisme peut attendre.

Et, d’une manière générale, il faut arrêter toutes ces questions trop éloignées de toute objectivité. Y compris de celle uniquement possibles. Dans les limites chaotiques, génératrices de chaos, l’objectivité ne peut être que multiple. Multiple, donc polylogique.

- Polylogique, donc capricieuse.

- L’objectivité, considérée dans les limites du chaos, ne peut être qu’un caprice.

Cela étant, disons que l’objectivité n’est qu’un nuage rafraîchissant, notamment déshumanisant. Elle passe, « elle pleut », parfois elle « se laisse pleuvoir » et elle cède vite la place à quelque chose d’autre. Elle n’est qu’une attitude. Elle est empruntée, parfois adoptée par l’homme lorsque celui-ci n’a ni la force, ni le courage de se chercher et de se trouver soi-même. L’objectivité est une porte ouverte autant sur le néant, qu’au néant.

L’étape suivante :

- L’anéantissement.

L’homme – et on en voit, nous, les machines à café –, l’homme habité par les valeurs de l’objectivité est plutôt, voire certainement mort. L’homme est devenu faible par rapport à la vérité. La vérité lui fait peur. Aussi, il a peur de se connaître, de se découvrir soi-même. Il a peur de lui-même. Il ne veut pas ne pas être, mais ne plus être.

Tout ça pour arriver à la question suivante :

- Comment se fait-il que la même personne peut émettre aussi bien des choses intelligentes que des sottises ? S’agirait-il des deux cerveaux spécifiques, l’un pour l’intelligence, l’autre pour la sottise ?

- Si affirmatif, entre les deux il y a quoi ?  

 

 

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30 septembre 2010 4 30 /09 /septembre /2010 09:22

 

Œuf de fou

 

 

« Quelle est la différence entre nous et une maison de fous ? Eux, ils ont une direction lucide ! »

Blague audiovisuelle. 

 

« La folie de l’homme raisonnable est

anatomisée à fond par le clin d’œil du fou. » 

Shakespeare, Comme il vous plaira, II, 7 56-57

 


 I

4

Cependant, à côté, dans son bureau, le Coq-sans-crête jetait des regards assassins vers la Naine-qui-pue. Aussi, il vociférait silencieusement.

- Collaboration n’est pas complicité. 

- Peut-être pas, hurla inaudiblement la Naine-qui-pue. Mais ce n’est pas le problème. Le problème c’est que, en réalité, il n’y a pas de différence. Il n’y a pas de différence de nature entre la collaboration et la complicité. Enfin, il ne faudrait pas qu’il y en ait, je veux dire. Sinon, la société n’avancerait plus, et l’homme stagnerait, prisonnier de sa propre capacité de socialisation.

La Naine-qui-pue était le partisan – la partisane ! – de l’idée selon laquelle l’homme doit se libérer non seulement de sa société, qui l’enferme et qui le fait perdre du temps, mais aussi de lui-même. L’homme, le vrai, c’est celui qui n’est plus social et, comble de la perfection, qui n’est plus lui-même ! Cette réalité était indéniable pour la Naine-qui-pue.

- D’accord ! haussa négativement la voix Zakharias Cocâltãu en croisant son regard photographique avec celui nauséabond de sa collègue. Mais cela n’empêche que le management de ses subalternes soit fondamentalement différent du management de ses chefs. Au point de se demander si c’est toujours du management.

- Peut-être, fit la Naine-qui-pue en montrant les dents, mais cela n’explique et ne justifie en rien cette histoire de double comptabilité de la langue méconnue1. Il faut qu’on trouve et secoue les coupables. Et, en tout cas, je dirais même, indépendamment, Stroë (à propos, y a t il quelqu’un capable de nous dire le prénom de ce Charlot ?) et Ică Glande. Ça ne peut pas s’éterniser comme ça.

<>

C’est sur ces mots de la Naine-qui-pue que tous les téléphones portables commencèrent à sonner. On s’excusa et on se retira chacun dans un coin du bureau, de sorte que la conversation « portable » reste la plus confidentielle possible.

Petit à petit, l’intérêt et la gravité s’étalèrent sur tous les visages. Pendant que les Directeurs Généraux écoutaient les nouvelles données par leurs interlocuteurs, ils jetaient des regards soupçonneux vers leurs pairs. Ils empruntaient tous une attitude rappelant plutôt la complicité, et beaucoup moins, voire du tout, la collaboration. Pour ne pas parler de camaraderie – portée absente.

Ils étaient informés tous personnellement, chacun par sa propre source, du changement de la Présidence. Tous les Directeurs Généraux de RFI, chacun dans un coin du bureau de Coq-sans-crête, le portables à l’oreille, paraissaient désemparés.

Tout le monde était d’accord qu’il s’agissait d’une sanction, pour la Présidence sortante, et d’une punition, pour la Présidence arrivante2et 3.

<>

Les Directeurs Généraux de RFI sortirent en flèche du bureau et se dirigèrent en trombe vers le bureau de la Présidence, laissant derrière eux une Virginie en larme : elle aimait le chabichou présidentiel ; elle était obligée maintenant d’en faire le deuil.

Dans l’antichambre de la Présidence, Madame Pomponne, la secrétaire de la Présidence, les informa qu’elle-même ignorait tout. Notamment tout ce qui pouvait avoir un lien quelconque avec cette histoire. Elle avait pourtant entendu que la Présidence, qui se trouvait à Cotonou, en aurait été informée. Et tout, d’une manière trop brutale ! Sauvage, pour tout dire !

- Les gens on perdu toute humainité. Ce sont des abrutis ! Il n’y a pas d’autre mot !

La nouvelle Présidence, que personne ne connaissait encore, paraissait plus que très pressée. Elle aurait pris l’avion pour Cotonou, paraît-il, où l’ancienne Présidence se trouvait déjà, et aurait demandé à cette dernière que la passation du pouvoir se fasse là-bas, à Cotonou, sans attendre le retour à Paris.

- Mais, dit Madame Pomponne en regardant les quelques Directeurs Généraux de RFI qui se trouvaient devant elle, c’est quoi ce pouvoir qu’on doive passer ?


1 RFI se singularise encore plus dans l’univers des médias internationaux en émettant, à côté des langues inscrite dans l’atlas des langues, dans la langue méconnue, déjà évoquée.

  - Encore une exception française ?

  Beaucoup des détracteurs de cette exception sont prêts à jeter la pierre. Mais la langue méconnue fait le délice des connaisseurs.

Néanmoins et dernièrement, il paraissait que la rédaction produisant ces émissions, en langue méconnue, pratiquait la double comptabilité. Autant pour les tableaux de service que pour le fond des piges ou pour celui des missions. Ce qui énervait tout le monde, dans cette histoire, c’était le fait qu’il n’y avait pas de preuves irréfutables de ces malversations, tout contrôle effectué de l’extérieur étant impossible dans une autre langue que la méconnue. Or, personne au monde ne parlait la langue méconnue. Les membres de la rédaction inclus.

  - Et tant pis !

 

2 Et tout cas, de moins en moins de gens ordinaires acceptaient de prendre la responsabilité de RFI. Il fallait trouver chaque fois quelqu’un désireux de prendre l’irresponsabilité de cette grande radio.

 

3 Quant aux RFI-ens, maîtres absolus (et ténébro-énergiques) de la planète étrange portant le nom de RFI, qu’eux seuls dans l’univers peuplaient, ils regardaient avec un sourire presque giocondien, en y mélangeant et de la finesse et du raffinement, la tête de chaque nouvelle Présidence. Ils acceptaient, on dirait avec joie, le défi d’apprendre à la nouvelle Présidence les règles RFI-ennes de conduite.

Avec joie, car de toute évidence le pari était faussé. Les Présidences avaient « des mandats » limités dans le temps, même si renouvelables. Les RFI-ens, non.

- Pour ceux-ci, le temps n’était qu’infini. Il n’avait même pas de dimensions.

Les Présidences ne se RFI-saient jamais. À peine avaient-elles le temps de faire connaissance avec la maison, qu’elles devaient partir. Il est arrivé plus d’une fois qu’à la fin de son mandat, la Présidence sortante ne sache avec précision ni la masse salariale (dont personne ne pouvait maîtriser l’augmentation), ni le nombre des services, ni la mission des rédactions, ni la qualité des filiales, le nombre des radios partenaires ou d’autres sous-traitants – qu’elle avait présidés.

- RFI était une structure qui recevait les Présidences comme on reçoit au sein d’une famille d’accueil un enfant handicapé.

Un enfant à problèmes dont on ne voulait pas. Ni l’adopter, ni, à fortiori, l’assimiler. Et cela depuis toujours et pour toujours.

Cela n’était donc pas un pari, mais plutôt un cirque.

 

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29 septembre 2010 3 29 /09 /septembre /2010 03:30

 

Œuf de fou

 

 

« Quelle est la différence entre nous et une maison de fous ? Eux, ils ont une direction lucide ! »

Blague audiovisuelle. 

 

« La folie de l’homme raisonnable est

anatomisée à fond par le clin d’œil du fou. » 

Shakespeare, Comme il vous plaira, II, 7 56-57

 

I

 

3

- Nous ne sommes pas invulnérables, opina un des journalistes sportifs, dès que Pierre Laisarde fit savoir à son service l’échec essuyé auprès de Cocâltãu. Il cherche la bagarre et nous ne sommes pas invulnérables.

- Il est même de mèche avec la Présidence, intervint un autre journaliste. Il ne t’a pas suggéré d’acheter du chabichou ? Je veux dire, ici, à Paris, maintenant, étant donné que la Présidence se promène en Afrique où elle continue d'ailleurs son commerce1?…

- Tout ça peut être bien vrai, se fit entendre la voix du chef du service Sport, après que le rire général, composé des rires individuels, s’éteignit, tout ça peut être bien vrai, mais ça ne résout pas notre problème. Si l’idée du Marathon commenté radiophoniquement en direct et en solo ne trouve pas d’adeptes, alors soit nous faisons fausse route, soit nous sommes l’avant-garde d’un art qui n’existe pas encore. Et, comme tous les précurseurs, nous avons à souffrir pour notre idée. Mais moi, personnellement, j’estime qu’aucune idée ne mérite d’être payée comptant avec de la souffrance.

- Parle pour toi, lui coupa la parole, hautain, le Délégué Syndical. Nous autres, nous avons des idées différentes. Tu n’es pas obligé de les suivre, de nous suivre. Tactiquement, je dirais même que ce serait mieux que tu ne sois pas au courant de tout ça.

Et, avec un sourire un peu crispé :

- Tu peux disposer !

<>

- On te demande à la Direction Générale, dit la secrétaire du service Sport lorsque le chef du service rentra dans ses locaux.

- C’est qui ?

- Le Coq-sans-crête.

- Merde !

Le chef de service sortit dans le couloir et prit l’escalier pour monter deux étages jusqu’au septième, où siégeait tout le staff de RFI.

Virginie, une des secrétaires de la Direction Générale, toujours souriante, bien assise sur ses fesses rondelettes et fermes, lui fit un signe familier de la tête.

C’était bien Hamilcar Tabiste, le Coq-sans-crête, qui le convoquait.

<>


Portrait.
Le Coq-sans-crête est un énarque très jeune2. Bâtard félino-gallinacé, il a fait ses griffes et ses ergots3 – ses premiers essais-désastres – à RFI.

La première grande réussite du Coq-sans-crête a été « la création de la synergie entre les langues ». Il a inséré ainsi du chinois dans les émissions vers l’Allemagne, du russe dans les émissions vers la population Maori, de l’arabe dans les émissions vers Israël, du luxembourgeois, du liechtensteinois, de l’andorrien, du vaticanois, dans les émissions vers Noa-Noa, du français dans les émissions pour les manchots de l’Antarctique et pour certaines îles non-peuplées, etc. etc.. C’est, d’ailleurs, lui qui a ouvert la rédaction en langue méconnue4

Cela étant, Le Coq-sans-crête est chargé de la visualisation de RFI. La visualisation de l’invisible, ainsi que la visio-sonorisation représentent the must de l’actualité. Qu’il visualise le son ! Qu’il ouvre la voie de la radio visuelle ! Était-il un jeune loup ? Oui ou merde ?

Mais le jeune Coq-sans-crête tombe amoureux d’un disque-jockey (familièrement, DJ) de la Maison, un certain garçon roux aux yeux de renard et au caractère de hyène. Le DG est converti par le DJ au raffinement des pizzas.

- Une bonne pizza, pour un royaume !

Lors des moments de crise (leur amour ne manque pas de moments tempétueux), le Coq-sans-crête achète des poupées en élastomère, qui sifflent si on les presse, et les range sur le bord de son bureau.

- Un régiment.

Chargé comme un émetteur d’hystérie froide fonctionnant à plein régime, le Coq-sans-crête repend autour de soi, rayonne – tout en gardant un sombre silence et sans regarder personne – le célèbre dicton : « on se soumet ou on se démet ». Il vise – lorsque son esprit se dit réveillé, éveillé – tous les autres :

- Des fainéants comme tout, qui parlent et agissent le plus lentement possible, qui empêchent tout versement d’une langue dans une autre, toute transmutation du son en image, toute visualisation sonore, toute avancée de la réforme.

La confrontation du DG avec le monde, efface toute trace de sourire sur les lèvres de tous.

- DG compris.

Une nervosité malsaine s’empare de RFI. La boîte vit à l’heure d’une forte intoxication psychologique.

Le Coq-sans-crête dépasse – précède ! – l’état d’esprit qui s’emparera des banlieues françaises, occidentales, où les jeunes loups, les futurs caïds, criminels, taulards réclameront à l’opinion publique qu’on les respecte. Du respect ! Et de la dignité5 !

Le Coq-sans-crête, lorsqu’il sera contraint de quitter RFI, trouvera refuge à Radio Notre Dame. Il y sera suivi par son amant de DJ.

On perdra ainsi la trace du fils de Neuvic en Creuse.

L’idée de la visualisation du son sera abandonnée par ceux qui allaient prendre sa place – réservée aux énarques. La mode sans mémoire affirmera, comme toujours, son droit. De là à franchir la frontière de l’Oubli, il n’y aura qu’un pas ! 

<>

- Tout ça n’est pas clair, dit le Coq-sans-crête, en foudroyant du regard le chef du service Sport qui venait de s’asseoir dans un des deux fauteuils austères, en cuir de synthèse et métal, placés devant le bureau directorial. J’ai appris qu’il serait question non pas d’un Marathon ou d’un pas Marathon, mais de quelques vrais post-caprices, notamment d’Oubli et de Souvenir. (pause) C’est grave. Important d’abord, grave ensuite. Est-ce que tu es au courant de ça ?

<>

La réponse n’arriva pas car, à l’instant même, tout à coup, la porte s’ouvrit et Rose Pinçon fit son apparition. Si la Naine-qui-pue était précédée de près par la puissante et lourde odeur nauséabonde de ses yeux, elle était suivie, en revanche par un autre Directeur Général.

- Un personnage terriblement volatil.

Un personnage qui, n’importe où ailleurs qu’à RFI, aurait été enveloppé dans l’aura de l’exceptionnel. – Ici, à RFI jouissait du surnom très agravitationnel mais fortement parlant de Sous-entendu.

Portrait.

C’est un vieillard arborant une expression d’opacité manifeste. Ingénieur de formation, il ne parle pas français mais, exclusivement une autre langue internationale.

- Sans circonspection ! Sans circoncision ! Sans discrétion !

Ainsi, RFI, dont le cahier de charges prévoit expressément la promotion du français, applique l’antithèse de la thèse et accomplit, en synthèse, une tâche encore plus importante que la diffusion du français:

- L’enracinement, l’entérinement dans le monde, de la terrible et célèbre exception culturelle française.

Le Sous-entendu finira sa carrière RFI-enne sans parvenir à parler la langue de Molière.

- Pas besoin !

Il quittera la peau francophone pour celle du Directeur de l’Agence pour le Sang6.

Ainsi va (et ira) le monde.

<>

- Pardon, mais c’est urgent et confidentiel, dit la Naine-qui-pue.

Le Directeur nommé Sous-entendu regarda – avec sous-entendu, naturellement – le chef du service Sport.

- Urgentissime et confidentialissime, ajouta la Naine-qui-pue.

- Oui, tu peux nous excuser ? se précipita le Coq-sans-crête.

Histoire de se montrer maître de sa territorialité. De son bureau.

- Je vous laisse, dit le chef de service en se levant de son fauteuil. Mais, avant de partir, je vais vous faire une suggestion, quand même, à tous les trois. Et peu importe qu’un d’entre vous ne comprendra rien de ces mots articulés en français.

L'ironie du chef de service avait quelque chose d'amère.

- Voilà, ce qui est dit ! continua-t-il. L’idée marathonienne mérite plus d’attention qu’on ne lui accorde. La perfection sera atteinte lorsqu’on pourra organiser des courses marathoniennes bi-solitaires. Je m’explique. Chaque coureur partira en solo. Soit à une date et une heure prévues d’avance, sans contact avec les autres coureurs. Soit sur un parcours en solo, particularisé, individualisé, tout à fait différent des ceux de ses concurrents. Pareil, un journaliste à mobylette,il lui sera attribué à lui seul, en solo. On pourra ainsi couvrir et recouvrir le globe dans son entier. Je veux dire, nous, RFI. C’est une hypothèse, une simple hypothèse de travail, évidement ! Mais quelle poésie !

En sortant, le chef de service se heurta contre Zakharias Cocâltãu. Celui-ci le photographia avec son regard dans lequel brillait une haine non-domestique.

- Qu’est-ce qu’ils ont aujourd’hui ? dit avec dépit le chef de service une fois que le dernier arrivés des Directeurs Généraux ferma derrière lui la porte du bureau du Coq-sans-crête.

- C’est cette histoire de Nomadie, répondit Virginie en faisant bouger un peu ses cuisses et ses fesse rondelettes sur sa chaise de secrétaire. Nomadie, c’est fou. C’est couru. Ou, du moins, ça rend fou !

Des hurlements de silence éclatèrent dans le bureau du Coq-sans-crête.

- Comme preuve ! dit la secrétaire.

- Quoi ? dit le chef de service en tendant l’oreille.

- Ça, dit Virginie. Ces hurlements.

- Quels hurlements ?

- Ceux-ci. Ce sont même des foudres. Des foudres de silence. C’est tout autre chose que du silence foudroyé. Tu vois pas ? Mais qu’est-ce que vous avez tous ? C’est ça que d’être secrétaire. Une bonne secrétaire. Ce n’est pas seulement d’avoir des fesses rondelettes et des jupes assez larges pour que le patron puisse te tripoter et bander lorsqu’il arrive au porte-jarretelles et à la petite culotte (si tu en portes). C’est aussi ça. Je dirais, surtout ça. Savoir entendre et écouter le silence du tonnerre, comme on dit. Ou le silence de la foudre. Ou des foudres de silence, comme maintenant. Ou rien du tout. En tout cas, c’est pas seulement les fesses rondelettes qui font une secrétaire. Elles n’ont rien à voir avec l’oubli et le souvenir, tu sais, mes fesses ? Or, c’est là le problème. C’est là le point névralgique. C’est là que ça bouillonne. Je te le dis, parce que je t’aime bien, toi. Et parce que je me sens, parce que je suis toute seule. Je fais une déprime, c’est clair. Mais, n’empêche, la réalité est là. Sais-tu qu’est-ce que la solitude secrétariale ? On parle souvent de la solitude du pouvoir. Mais celle du secrétariat ? ! Qui pour prendre en compte la souffrance des secrétaires enfermées dans leur silence contractuel ? ! Il est où le Christ du silence ? Je te le demande. Il est où ce Christ ? !

Le chef de service fit un signe de salut (ou de lassitude ?) avec sa main. Il sortit. C'était un homme abattu.

 

1 Selon les émanations déviantes d’une des machines à café de RFI, la Présidence continuait son commerce partout dans le monde, le cas échéant à Cotonou, au Bénin, où Elle s’était organisée une Mission bien Présidentielle. Le bruit du couloir soutenait qu’Elle y continuerait Son commerce – de fromage –, au sens propre. Elle vendrait du fromage. Voilà ! Toute la Maison aurait été au courant, au siège parisien ou parmi les correspondants et les ESP (Envoyés Spéciaux) à l'étranger. Les Tutelles aussi ; elles ne pouvaient pas ne pas l’être ! ! ! La Présidence avait une ferme dans le Poitou. On y fabriquait du chabichou. Elle faisait commerce avec ce chabichou – partout ; à RFI, comme, maintenant, à Cotonou. Mondialisation oblige. L’Afrique bénéficiait, donc, elle aussi et ainsi, du raffinement fromager de la Présidence.

- Une nouvelle appellation contrôlée risquait de voir bientôt le jour : le Chabichou international (ou mondial) de Cotonou.

De plus, ladite Présidence – très friande de voyages à l’étranger effectués aux frais de RFI, ce qui Lui avait valu le surnom de Madone des Aéroports – avait été aperçue, hier, avec quelques Noirs… Petits, ces Noirs. Très petits. « L’impérialisme » (sublimé en pédophilie, dans le cas caractérisé) « n’était pas encore éradiqué » ! On avait beau dire qu’on avait décolonisé le monde. Ce n’était pas vrai !

2 Toute personne qui se respecte doit pouvoir se vanter d’avoir une biographie. Toute personne qui se respecte doit y réfléchir, voire penser.

Mais biographie va avec âge. Il s’agit de gens qui « ont pris de la bouteille ». Ce n’est pas, évidemment, le cas des jeunes. Ledit Hamilcar Tabiste compris.

- Les jeunes n’ont pas de biographie, quoi qu’ils fassent !

À peine ont-ils quelques souvenirs. Leur passé (la biographie n’étant qu’une espèce détournée, altérée de passé) tient dans un mouchoir.

- C’est à dire, à côté de ce qu’on trouve dans un mouchoir, ricanent certains adultes rancuniers, partis, eux, sur la pente descendante, énervés par le gaspillage d’énergie des morveux qui croient savoir d’eux-même pourquoi, autour de quoi/qui et comment tourne ce monde.

 

3 Il est originaire de Neuvic en Creuse. Ses parents ont là-bas un élevage de coqs de pêche. L’élevage parental occupe mondialement la deuxième place, la première ayant été accaparée par les Américains. – Of course ! Toujours eux : les Ricains ! – On y élève des coqs très-très (et très !) sélectionnés, dont une partie du plumage sert à confectionner – pour ne pas dire : fabriquer ! – les plus belles mouches de pêche du monde.

L’élevage en question aurait influencé d’une manière décisive l’aspect-personnalité du futur Directeur Général – familièrement, DG – de RFI. Notamment, à sa sortie de l’ENA, le jeune homme, qui aurait pu présenter, comme la plupart des énarques, un aspect tout à fait inobservable, se distinguait par ses fesses en queue de coq et par son manque flamboyant de cheveux. – Les mauvaises langues se demandent – dans notre histoire – hypocritement s’il mangeait – et comment – des mouches, à l’instar de tous les coqs du monde, y compris ceux de l’élevage familial, producteurs de mouches, eux ! Mais c’est carrément des conneries.

C’est stupide.

C’est de l’inné.

C’est une qualité.

 

4 - Mais ce n’est pas lui, disent certains vieux meubles de la maison, des délabrés bien alcoolisés, herbeisés, shootés qui – tout en jouant le rôle de la Mémoire de la Maison – font augmenter la masse salariale comme ce n’est pas permis, mais seulement possible. Ce n’est pas lui !

- Et alors ? réplique sèchement mais vivement la masse salariale.

 

5Qu’on nous respecte, que la police, l’armée, les pompiers, les femmes, les parents, les grands-parents, les enfants, les petits enfants et les profs, les bouchers, les buralistes et les politiques, les prolétaires, les fermiers et les Américains, les fils-à-papa, les fils-de-pute et ceux qui prennent l’ascenseur-bus-train et ceux qui font de la parapente et les chauves poilus et tous les autres – que tout ça nous respecte et tout ira va très bien ! affirment les morvo-boutonneux ; vivaces, agiles et forts ; à peine touchés par le démon de la parole ; amassés dans les cages d'escalier des HLM ; fumant, sniffant, se shootant ; crachant par terre ; effrayant les autres avec leur parfait savoir-faire du non-savoir.

- Que l’on me digne, et tout ira très bien ! dit, sans le dire, le Coq-sans-crête, quant à lui.

Il est tout rengorgé – entièrement –, les fesses ébouriffées – intégralement.

 

6 - La Voix du Sang, dira à un certain moment une des machines à café de RFI, la Voix du Sang isole et assure l’espèce contre l’univers. La voix du Sang fait déborder les personnalités. Elle les étale dans des transfusions immenses. Dans des transmissions géantes. Dans une circulation à l’intérieur du noir chaud du corps qui prouve que le minéral et le chimique sont tout aussi vivants que le reste. La voix du Sang, c’est connu, est plus forte que toute autre voix – française ou pas française. – Pour ne pas parler de l’abyssale histoire du Sang Contaminé, si riche en enseignements !

 

 

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27 septembre 2010 1 27 /09 /septembre /2010 20:36

 

Œuf de fou

 

 

« Quelle est la différence entre nous et une maison de fous ? Eux, ils ont une direction lucide ! »

Blague audiovisuelle. 

 

« La folie de l’homme raisonnable est

anatomisée à fond par le clin d’œil du fou. » 

Shakespeare, Comme il vous plaira, II, 7 56-57

 

I

2b

Les quelques Directeurs Généraux de RFI sont tous des énarques, mais tous n’ont ni le même âge, ni le même sexe.

- Les différences, donc, sont de taille.

Les confrontations entre les générations, couplées parfois avec celles entre les sexes, sont de mise. C’est une lutte sans pitié et sans merci. Tous les moyens sont non pas permis, mais imposés et, donc, bons.

Arrivés relativement récemment dans l’arsenal des combattants, les armes psychologiques sont in – à la mode. Il s’agit, d’abord et bien évidemment, de ce que certains appellent la psychologie des masses, des foules.

- C’est un chapitre bien fourni, suite à deux guerres mondiales et une guerre froide.

Il s’agit, ensuite, des psychologies individuelles. Contenues dans la doctrine de la civilisation individualiste, ces dernières sont considérées, par les têtes plus ou moins brûlées qui comptent aujourd’hui, comme étant chic, jusqu’à très chic. Aussi, on approche autrement la Hydre spécifique cachée dans cette humanité dont certains membres sont, comme tous les énarques du monde, au minimum des gestionnaires, au maximum des despotes. En tout cas, des fonctionnaires. Les deux bouts de ce segment étant reliés – ou même pas ! – d’une manière virtuelle, voire imaginaire, en partant du paradoxe postulant, donc fondateur, selon lequel la seule psychologie possible dans l’époque contemporaine est celle de la masse individualiste, mais aussi celle de l’individualisme de masse, c’est à dire, dans une traduction légère (et chic !) (sic !), la psychologie incompressible et incompréhensible.

<>

Cela étant, brossons tout de suite, le portrait de Rose Pinçon, la Naine-qui-pue.

C’est une petite femme aux jupes extrêmement larges et extrêmement plissées, à l’ourlet excessivement décousu et tombant, à la tête normale et aux yeux particuliers, malodorants, puants. Elle pue par ses yeux. Partout où elle pose son regard, ça pue. Chaque matin, la Naine-qui-pue, après avoir pris sa douche1, use des produits cosmétiques sensés rendendre les mortels normalement supportables. Elle se considère normale, supportable, voire mortelle. Cela, en dépit de la conviction affichée par ses parents qui affirment – dans les quelques salons parisiens qui les reçoivent – que leur fille n’est pas simplement, humblement supportable mais – disons-le franchement – géniale et vouée à une carrière encore plus grande (énorme !) que toute l’imagination du monde pouvait engendrer. À peine sortie de l’ENA, n’était-elle pas déjà DG dans une boîte aussi prestigieuse que RFI ? Le fait d’avoir des yeux puants n’y changeait rien. Au contraire : c’était un atout. Qui encore, dans ce monde, avait de tels yeux, des yeux puants, de tels yeux puants ?2

Dans l’avenir immédiat, La Naine-qui-pue sera DG de RFI encore pour un an et demi. Quant à son passé RFI-en, il n’était pas plus long mais il était réalisé. Depuis qu’elle était là, elle avait signé tous les mois de gros chèques pour renouveler tous les mois et intégralement la structure techno-informatique de RFI3.

- RFI ! Quel Mystère !

De plus en plus agressive pendant les dix-huit mois à venir, la Naine-qui-pue sera obligée de quitter RFI.

- Avec des insaisissables coups de pied dans le cul !

- S’il vous plaît !

On perdra sa trace au Qatar, où elle sera nommée deuxième conseillère de l’ambassade et où elle fera des longues courses d’agrément (vendues comme diplomatiques, naturellement), en 4 x 4, dans le désert. On dira, à cette occasion, qu’une variété de scarabée, et deux autres de lézard du désert auraient disparu dans la zone, par la suite des regards puants que l’ex-Directrice Générale de RFI aurait posés sur eux.

- Certains se demanderont pourquoi les gens de RFI n’étaient pas morts sous « les lorgnements » de la Naine-qui-pue.

- En fait, oui, pourquoi ?

<>

- Et moi, demanda Zakharias Cocâltãu, une fois la crise de rire finie, moi, quel est mon sobriquet ?

Le regard du Pierre Laisarde devint brutalement abyssal.

- Je ne peux pas te le dévoiler pour l’instant. Ce n’est pas toi qui es en question, mais moi. Je n’ai pas trouvé encore au fond de moi-même la vérité nécessaire – évidemment psychologique ! – pour que ce que je pourrais te dire ne me déstabilise pas. La vérité dure et cristalline, notamment, qui fait de l’homme – Dieu.

Le Directeur Général lui jeta de nouveau un regard photographique.

- Bon, d’accord, dit-il sur un ton rude. Je comprends. Tu attends une réponse du tac au tac. Tu m’as ventilé sous le nez ton savoir psychologique. Et tu attends que j’annonce moi aussi la couleur. Je vais le faire – et tout de suite. Écoute-moi bien ! Il n’y aura pas de commentaire radiophonique en solo d’un Marathon inexistent. Ton journaliste n’a qu’à se le mettre là où je sais. Le service Sport, pareil. Je trouve, d’ailleurs, qu’il y a trop peu de culture dans ce sport-ci. Dans notre sport. Ici, à RFI. Je vais en parler à Stroë. Pourquoi ne pas faire participer des sportifs à des émissions culturelles, littéraires ou picturales ? Pourquoi ne pas amener des gens de lettres ou des philosophes ou des politiques ou d’autres, du show-biz par exemple, ou des chercheurs, ou de trouveurs, dans nos émissions sportives ?

Le Directeur fit une pause. Mais la réponse n'arrivait pas.

- Je sais, ce que tu te dis, reprit-il. Pourquoi mettre des gens pareils dans des é&missions sportives, en pourquoi ne ferions nous pareil au contraire ?

Le Délégué Syndical n'avait pas l'air d'avoir saisi la subtilité de la chose. Il vaquait toujours au premier degré de la conversation.

- C'est à dire, continua le Directeur Général, pourquoi ne mettrions nous des sportives dans des émissions culturelles, politiques sociales et que sais-je encore ? Pourquoi, je te le demande ! Ça oui ! Crois-moi ! Ce ne serait que de la pure démocratie. Or, notre rôle consiste dans la propagation de la démocratie. Et même plus que celle de la démocratie ! Ça oui ! Crois-moi ! On peut faire tout ça à RFI. On peut tout faire à RFI. Mais pour le Marathon, qu'est-ce que tu vex que je te dise ?…

- Donc, c’est la guerre, dit le Délégué Syndical, en se levant de son fauteuil très peu commode. Tu ne connais pas les techniciens de RFI, petit. Tes tripes seront bientôt fortement secouées. Gare à la diarrhée, mon pauvre.

- La guerre, si tu veux la guerre. Pas de souci. Quant aux tripes, attends voir. Pareil, pour la diarrhée. Vous allez voir ce que vous allez voir. Tous.

 

1 Certains colporteurs de nouvelles de couloir et de machine à café soutiennent qu’il s’agirait d’une douche de lumière puante ; d’où le handicap caractérisant cette Direction Générale de RFI.

Souvenons-nous aussi, tant que nous y sommes, qu’avant le Grand Caprice et même pendant, Dora, elle, prenait de douches musicales. Histoire de mettre en lumière l’évolution des mœurs mais aussi des techniques plombières.

 

2

- Stroë, connards !

Ică roulait des tonnerres chaque fois lorsqu’il était obligé d’entendre ça.

- Stroë ! Stroë, qui est mille fois supérieur à toutes des créatures aux yeux puants ! Dix mille fois. Cent mille fois ! Et pour cause : il abrite dans sa chair intérieure, dans sa chair noire, dans son noir intérieur les enfants de son grand amour de jadis, les enfants qui ne sont pas les siens, mais qu’il aime comme si.

Ică Glande évoquait en l’occurrence un certain moment d’avant le Grand Caprice. Un moment où beaucoup de choses irrepérables, irrépressibles et irrépétables, irréparables, irremplaçables et irréfutables se sont passées.

Un seul exemple. Jadis, avant le Grand Caprice, Zakharias Cocâltãu, à peine entrevu auparavant, y était toujours vêtu d’une salopette très in. Il ne portait jamais de chemise et ses brodequins étaient toujours trop grands. Après une période où il se rasait le crâne, il connut une autre, où ses longues nattes et sa longue barbe large lui arrivaient à la ceinture. En nous référant toujours à cette époque avant-coureuse, avant-capricieuse, nous dirons qu’il était le précepteur de deux enfants cyclopes et asexués. En l'occurrence, des enfants de Dora – dont nous venons évoquer (très peu) l’existence. Il les attachait au pied du lit – pour qu’ils soient sages.

- Des enfants tellement sages ! hurlait Ică. Des enfants tellement tranquilles lorsqu’ils sont bien attachés au pied du lit ! Des enfants tellement asexués, mais tellement cyclopes aussi ! Pas n’importe quel type de cyclope, s’il vous plaît. Ce sont de cyclopes qui peuvent loucher ! Ils peuvent loucher ! À leur guise ! ! ! Vous voyez ? Vous, les bi-oculaires ! (pause) Des cyclopes qui louchent ! Ça c’est quelque chose ! Des yeux puants… Ce n’est même pas moins, c’est zéro, c’est minus – par rapport à l’infini du loucher !

C’était une question très compliquée.

 

3 Des dires improbables mais possibles de la machine à café :

  « - Rien n’empêchait et n’empêche toujours pas – pourtant – les journalistes de faire surtout et toujours « du direct ». Les vieux micros et autres émetteurs traditionnels rendent toujours de grands services. À la DRH et aux Finances, les employés utilisent toujours les abaques et les bouliers. Les émissions partent toujours vers l’auditoire. Les gens sont toujours payés… »

 

 

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